Chez soi / Une famille, une maison, rien qui va. Pourquoi ? Avec ce roman écrit en vers et une mise en page soignée, Alix Lerasle nous dépose Du verre entre les doigts. Ne vous coupez pas.
En ouvrant ce livre, on pénètre une maison. Une maison sombre et froide, où les murs s'effritent. Une maison où vivent Nati, le petit-petit frère, étrange et beau, la mère, à la maladie mystérieuse, le grand-grand frère qui ne parle pas, et la narratrice, petite-grande-vieille. Mais aussi la fille rêvée, qui nargue la narratrice. Et puis il y a un absent. Dans cette maison, tout et tout le monde est triste. Mais personne ne parle de sa tristesse. En fait, personne ne parle vraiment. Que s'est-il passé ?
On suit cette famille quelque peu dysfonctionnelle évoluer dans la maison, jamais au-dehors. De toute façon personne ne sort beaucoup, à part le grand-grand frère parti en pension. À tel point que la maison, presque vivante, est un personnage à part entière. Après son premier livre, un recueil de poésie intitulé Faut-il des murs pour faire une maison ? c'est un motif qui se dessine pour l'autrice : « C'est une façon d'étendre le mot famille à la maison. Même s'il n'y avait pas ce merveilleux, avec la maison qui se dégrade au fur et à mesure, explique Alix Lerasle, sans aller chercher très loin, on n'habite pas un lieu de la même façon selon comment on se sent. »
C'est ça aussi que la maison raconte. « En français on n'a que le mot maison, mais en anglais, je travaillerais sur le mot home plutôt que sur house. Qu'est-ce qu'un chez-soi ? », poursuit l'autrice : « Dans l'enfance on peut se sentir mal chez-soi, et ça dit beaucoup de choses. C'est ce que vit la narratrice. On ne sait pas qui la maison défend, car elle prend parti dans ce qui se passe. Mais détester sa chambre, c'est courant chez les enfants victimes d'abus. Je ne l'ai pas vécu, donc je ne le savais pas, mais en écrivant, ça fait partie des choses qui sont apparues très logiques. »
Une langue poétique
Les vers et la syntaxe, mais aussi les flèches, les mots barrés, les comptines... chaque choix typographique a un sens, correspond au mode d'expression d'un personnage, à nous de le décoder. « La question à laquelle il faut essayer de répondre, c'est quel âge a Nati ? La réponse est à l'intérieur. Pas l'âge précis, mais l'ordre de la fratrie n'est pas celui auquel on pense. »
Avec une langue et une mise en page poétique, au cordeau, Alix Lerasle explore et traduit la solitude, la honte, la peur, l'enfermement, le repli, le désespoir, parfois la joie, toujours fugace. Un livre qui coupe le souffle, littéralement, tant il touche du doigt quelque chose d'enfoui profondément, et qui se lit d'une traite, pour respirer à nouveau à grandes bouffées après l'avoir fermé.
Du verre entre les doigts d'Alix Lerasle, aux éditions du Castor Astral
Rencontre à la librairie Adrienne le 26 septembre