Photographie / Le Réverbère finit en beauté avec une exposition réunissant vingt photographes et 130 images. Soit un condensé de plus de quarante années de passion pour la photographie et de sa capacité à éblouir, questionner la réalité ou à en révéler l'étrangeté...
Le Réverbère fermera ses portes à la fin de l'année 2024, c'est une bien triste nouvelle pour les amateurs de photographie. De photographie exigeante, poétique, cheminant hors des sentiers trop battus de la mode contemporaine et du tape-à-l'œil. Depuis 1981, Catherine Derioz et Jacques Damez ont présenté au Réverbère de véritables expositions à l'accrochage toujours réfléchi et soigné, bénéficiant d'un espace suffisant pour pouvoir s'immerger lentement dans l'univers d'un artiste. On a fait tellement de belles rencontres au Réverbère, tellement de rencontres différentes aussi : de la récente exposition William Klein aux polyptyques un brin mélancoliques d'Yves Rozet, de la découverte de la photographie intimiste de Julien Magre aux jeux de miroir urbains de Serge Clément, des nus féminins fragmentés de Jacques Damez aux épiphanies poétiques de Bernard Plossu sublimant la banalité du quotidien.
La galerie défend aujourd'hui plus d'une vingtaine de photographes dont les plus connus restent William Klein, Bernard Plossu, Marc Riboud, Denis Roche... « Pour finir en beauté cette dernière année dans notre galerie, nous vous invitons à découvrir Histoire(s) sans fin avec un choix d'œuvres emblématiques, rares, iconiques ou uniques de chacun de nos photographes », écrivent les galeristes dans leur dossier de presse. L'exposition à l'accrochage particulièrement dense rassemble 130 images, dédiant quasiment une cimaise pour chacun des photographes (seuls Yves Rozet et Julien Magre ne sont pas représentés, ayant été exposés à la galerie très récemment).
Tables des matières
Assez vite dans l'exposition, nous nous sommes attardés devant un petit ensemble d'images signées Bernard Plossu, mêlant couleur et noir et blanc, avec un grand nombre de tables vides de restaurants, d'intérieurs de cafés, ou de terrasses... Dont ce petit chef-d'œuvre réalisé à la Coupole en 1973 : une image quasiment abstraite faite de pans de noir et de pans de blanc découpés dans l'obscurité. Le motif de la table pourrait presque constituer un fil rouge, plus ou moins conscient, de toute l'exposition tant il se retrouve chez de nombreux photographes : une table démesurée soulignant les portraits de Marx, Lénine et Staline chez Marc Riboud, des fragments de tables qui occupent certains angles « morts » des photographies de Denis Roche, la scène de café digne d'un tableau d'Edward Hopper saisie par Géraldine Lay, la composition géométrique en bord de mer de Pierre Canaguier, la natte souple en Afrique de Thomas Chable, les tables qui semblent comme flotter dans de grands espaces vides chez Rip Hopkins... Autant de tables que de matières, couleurs, compositions spatiales, jeux avec le vide et le plein... Autant de tables de montages.
Les eaux troubles du miroir
À l'opposé du dépouillement de Plossu, les galeristes ont choisi de montrer l'exubérance des signes et des lumières pour William Klein : photographie d'un extérieur de cinéma américain ou celle d'une superposition de panneaux publicitaires. L'exubérance des corps aussi dans un sauna peuplé de femmes aux formes généreuses et aux postures crânes. On passe ainsi d'univers en univers avec parfois des voisinages formidables : Thomas Chable et Rip Hopkins, Bernard Plossu et Denis Roche... Au fond de la galerie, l'exposition se termine sur un autre moment fort consacré au portrait. Jacques Damez y présente six auto-portraits littéralement fantastiques où il met en jeu (presque en danger) son corps et son visage : monstre à deux bouches surgi des ténèbres, corps dont il ne reste que la trace fugitive ou une silhouette fragile, visage schizophrène qui mute en fonction de l'ombre et de la lumière, des effets de solarisation, des cadrages et des décadrages, des mises en abyme de reflets et d'ombres... Damez donne le vertige et s'empare des moyens propres à la photographie pour diffracter son identité, faire surgir son étrangeté, démultiplier les possibles. Soit une photographie comme passage d'un état à l'autre, comme chimie et physique délirantes, capable non seulement de reproduire le réel mais aussi d'en extraire l'inédit et l'insensé. La série voisine avec un autoportrait tout aussi fou et fascinant du belge Dirk Braeckman, pour nous l'un des plus grands noms de la photographie et que la galerie a eu la chance de représenter et de faire découvrir en France de 1993 à 2001.
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Clap de fin pour la galerie de photographies Le Réverbère
Histoire(s) sans fin
Jusqu'au 28 décembre au Réverbère (Lyon 1er) ; entrée libre