Théâtre / Avec "Le Ring de Katharsy", tout en nuances de gris, Alice Laloy poursuit brillamment son exploration de la déshumanisation et la marionnettisation des êtres qu'elle avait déjà portés haut dans "Pinocchio(live)".
Voici un jeu vidéo sans technologie. Les avatars sont incarnés par six acrobates et/ou danseurs ; les joueurs sont les chanteurs Antoine Mermet et Antoine Maitrias (passés par le Cabaret de Madame Arthur). De part et d'autre d'un carré dessiné au sol, à jardin et à cour, ils s'agitent sur leurs chaises à roulettes de gameur, chaussures de boxe aux pieds. Et ils parlent à l'impératif : « marche, cours, jette, montre, saute, pousse... ». Ou profèrent des notions plus psychologiques : « résiste, oublie... ». Parfois « resynchronise ». C'est qu'il y a un match dont le score se lit sur deux écrans dignes des Game boy des eighties, avec des chiffres pixélisés et des émoticônes de la préhistoire. Il s'agit pour les deux hommes, pris dans une techno "épaisse" et puissante, de diriger leurs personnages et de gagner la partie. Il y a en aura plusieurs au cours de ces 80 minutes intenses : black friday, click and collect, green is beautiful, living room...
Video game
Depuis des années, et magistralement avec Pinocchio(live), Alice Laloy, formée à la scénographie et aux costumes de l'école du TNS, dissèque comment la machine a pris le pas sur l'humain et surtout quel dialogue ils peuvent encore nouer l'une avec l'autre. Inspiré d'Hans Op de Beeck, celui qui signa une œuvre phare à la Biennale d'art contemporain de Lyon 2022, elle déploie un espace constamment inventif sur lequel tombent lourdement des cintres, des objets du quotidien. Rien n'est attendu et tout est cadré au point que les dérapages potentiellement prévisibles — comment réagit le joueur lorsque ses personnages se dérèglent et vont au-delà des ordres ? — conduisent à une vision plus sombre encore que s'ils avaient tout fait exploser. Ce qui semble intéresser cette artiste, ce sont les débordements à l'intérieur de la loi qu'elle édicte, ce qui conduit à l'étouffement métaphorique. L'un d'eux est littéralement sommé de dévorer toute la nourriture trouvée pour affamer l'adversaire, engranger des points mais il finit par tout perdre à force de gavage. La surconsommation, l'abondance, les injonctions à l'écologie (prises sous l'aspect des petits gestes), la possession deviennent corps et sont incarnées avec maestria.
Alice Laloy revient au TNP en mars pour diriger la Maitrise de l'Opéra dans L'Avenir nous le dira en mars. C'est peu dire que ce sera un autre rendez-vous à ne pas manquer, tant elle a aussi prouvé par le passé sa capacité à travailler avec les enfants.
Le Ring de Katharsy
Jusqu'au 19 octobre au TNP ; de 7€ à 26€