Roman-graphique / Après cinq années en gestation, l'autrice et illustratrice américaine Deb JJ Lee a accouché du roman graphique In Limbo, mettant en scène le mal-être adolescent au croisement des affres de l'acculturation.
« Est-ce que je vais finir seule ? Pour toujours ? ». Quand Jung-jin (nom coréen) qui préfère être appelée Deborah (nom américain) entre au lycée aux États-Unis, elle amorce une des périodes qui sera sans doute l'une des plus douloureuses de sa vie. À l'école, elle peine à s'intégrer, obtenir des notes acceptables et est constamment l'objet de railleries et de racisme ordinaire. Pas de répit pour "Deb", qui est poursuivie à la maison par une matriarche rigide, violente et inconstante. Pour les services sociaux américains, il s'agirait d'une « éducation de mère-tigre » typique de l'immigration asiatique, ne méritant pas de s'en inquiéter.
Teen idle
Au fil des années — et au désespoir de sa mère — Deborah perd son coréen, puis son attrait pour le violon, sans pour autant gagner en "américanitude", restant là, au milieu du gué, ni Coréenne, ni Américaine. Un récit rappelant le monologue de Mario Batista (Langue fourche), sa langue séparée entre deux cultures, « séparée en deux bouts ».
Le dessin se dévoile dans un style semi-réaliste, jouant le plus souvent avec les tons gris, bleus et blanc-pastel, tranchant avec l'implacabilité du récit. Deb JJ Lee évoque avec sincérité ses pensées suicidaires, ou l'obsession désespérée qu'elle a développé à l'égard d'une de ses amies, rappelant — dans un autre registre — l'honnêteté du trait et du propos de Pauline de Tarragon sur le trouble borderline (Minuscule folle sauvage, aux éditions La ville brûle, 2024). En dépit de quelques irrégularités de rythme, l'ouvrage récompensé par le prix Ignatz du nouveau talent prometteur 2023 est à la fois instructif et cathartique. Il incite ses lecteurs à repenser les questions d'identité, de racisme et surtout, cette étape étrange et douloureuse qu'est l'adolescence.
In Limbo de Deb JJ Lee (aux éditions Akileos)
En dédicace le mercredi 6 novembre à la librairie La BD (Lyon 4e) ; gratuit sur réservation