Bouchon de liège / Album « game changer », matrice de la trap française, révélation fracassante d'un artiste, mise en lumière de Sevran comme terre de rap... Or Noir de Kaaris fête son dixième anniversaire avec une tournée dans toute la France. À Lyon, c'est à la Halle Tony Garnier que ça se passe. 2.7, 2.7 !
Avant de connaître son deuxième âge d'or en milieu de décennie, le rap français traversait diverses tempêtes début 2010 (crise du disque, pouvoir des radios). Seules quelques têtes d'affiche (Booba, Rohff, La Fouine) subsistaient, tandis que cartonnaient Sexion d'assaut et Soprano dans un registre aseptisé plus proche de la variété. Un grand écart musical qui résume en creux l'une des problématiques de l'époque : s'ouvrir quitte à diluer son ADN, ou rester solide sur ses appuis en attendant la fin de l'orage. C'est dans ce paysage incertain que l'arrivée de Kaaris a fait l'effet d'une bombe. Deux featurings (Criminelle league et surtout le légendaire Kalash) avec son futur meilleur ennemi, Booba, vont le propulser sur le devant de la scène en 2012. Quelques mois plus tard, sort son premier album, Or Noir.
In the mood for violence
Construit en étroite collaboration avec le beatmaker Therapy 2093, le disque impose d'un même geste puissant, une esthétique sonore sombre et un personnage "bigger than life". Il frappe par la cohérence de ses influences musicales (la trap de Gucci mane, 2 chainz, Young jeezy, ...) et la manière de les inscrire dans un décorum français. Physique imposant, attitude et gestuelle martiales, énergie débordante... Kaaris secoue très fort une imagerie timorée. Derrière le micro, ses punchlines testostéronées distribuées en rafales au fil des couplets, dopent et se confondent avec des productions de haut vol.
« J'suis capable du meilleur, comme du pire / Et c'est dans l'pire que j'suis le meilleur ». La couleur est annoncée sans ambiguïté dès le premier titre, Bizon, et il est conseillé aux oreilles chastes de s'abstenir d'écouter. La violence verbale (certes imagée), aux confins du gore musical, transpire sur la majorité de pistes, avec une jouissance régressive et un positionnement assumé. L'allusion récurrente à Thulsa doom, grand méchant de Conan le barbare, avatar revendiqué de Kaaris, clarifie, si besoin est, une donnée : la part évidente de fiction dans son rap.
« J'm'entraîne à sourire devant ma glace »
Sans nuances ou presque, il déploie un univers foncièrement masculin où l'egotrip décomplexé s'accommode de tous les codes (clichés ?) d'une discipline nourrie à la performance brute. Dans un mélange d'adrénaline et d'ultraviolence transformée en licence poétique, en près d'une trentaine de titres (réédition comprise), c'est à la fois la révélation et l'avènement d'un rappeur qui, qualitativement, ne parviendra jamais à faire mieux. Dix ans plus tard, cette tournée anniversaire atteste de la nostalgie précoce d'un genre musical qui vit autant au rythme des changements qu'à l'exploration de sa propre histoire. Elle conforte également le statut d'Or noir, celui d'un classique incontesté, venu en son temps fracasser l'industrie sans faire de détails.
Kaaris
Vendredi 6 décembre à la Halle Tony Garnier (7e) ; de 39 € à 59 €