Valeur travail / L'autrice remarquée d'"Ultramarins" a quitté les océans pour nous enliser dans la vacuité du monde du travail. Avec "Palais de verre", elle livre un récit cathartique, poétique et surtout nécessaire.
Claire est une bonne employée, un "bon élément". Sans un bruit et avec toute la docilité qu'on peut attendre d'une femme, elle a gravi les échelons. Elle a travaillé douze heures par jour durant des années sans rechigner, maniant avec aisance (mais sans prétention, ç'eût été mal reçu) la novlangue des "palais de verre" que sont ces grands open-spaces, séparés par des murs vitrés. Elle n'a jamais eu l'espace mental, ou matériel de vivre sa vie, de fonder une famille, de se projeter dans l'avenir.
Mais un jour Claire est désavouée par ses supérieurs, froidement. Tout s'écroule. Le poids d'une vie de servitude l'ensevelit presque instantanément. Alors elle se rend sur les toits et observe l'absurdité de jours et de nuits dédiés au travail, dédiés à l'effacement de son individualité. Elle se remémore sous les nuages les petites et grandes vexations, les compromissions du quotidien et dessine les contours d'une irréconciliable rupture.
« Aveugle à l'imbécillité et sourde à la douleur »
La conversation est intérieure, mais le chemin emprunté place le roman dans la lignée libératrice d'un Otages de Nina Bouraoui. Palais de verre de Mariette Navarro livre une ode au désengagement, à la révolte féministe et à la réappropriation. On y réalise l'existence volée, grignotée silencieusement, par un travail stérile, tandis que Claire demeurait étrangement « aveugle à l'imbécillité et sourde à la douleur ». Le texte de Mariette Navarro est à la fois poétique et radical, et fait voler en éclat — sans revendication, seulement le réel — la conception occidentale du travail. Et là, entre ciel et bitume, son personnage s'interroge : quelle sera la chute ?
Palais de verre de Mariette Navarro, aux éditions Quidam ; 15 €
Jeudi 19 décembre à 19h30 à la librairie L'Esperluette (Lyon 5ᵉ) ; gratuit sur réservation
