La Traque / Fabrice Du Welz investit l'affaire Marc Dutroux pour un film noir, documenté, à l'ambiance poisseuse, qui n'oublie jamais son public et s'impose d'ores et déjà comme l'un des temps forts de ce début d'année 2025.
Depuis ses débuts remarqués avec Calvaire, la carrière de Fabrice Du Welz navigue entre œuvres très personnelles (Vinyan, Alléluia), échappées inattendues (La Passion selon Béatrice) et productions plus ouvertes, aux développements houleux (Colt 45, Message from the King). Après son thriller domestique Inexorable, il s'inspire de la très médiatisée affaire Dutroux pour narrer la descente aux enfers de Paul Chartier, jeune gendarme confronté à une disparition d'enfants dans la Belgique des années 90.
Faites entrer l'accusé
Entre plongée dans les arcanes d'un plat pays profond et une guerre des polices, Le Dossier Maldoror (du nom de l'opération secrète dédiée à la surveillance du suspect principal) s'inscrit dans une veine policière héritée du cinéma français des seventies, Yves Boisset en tête. Fabrice Du Welz opte pour une même approche sèche, sans fioritures, presque factuelle, évitant les écueils du film dossier. Réalisateur cinéphile, Du Welz condense ses influences, intelligemment mûries, en un tout cohérent. Il n'hésite pas à frôler le pur naturalisme, voire une approche documentaire tendance Striptease, en y incorporant des éléments volontairement grotesques (le postiche de Jackie Berroyer), contrebalancés par de véritables fulgurances baroques. Le propos, d'une noirceur absolue, ne se sépare jamais d'une volonté d'embrasser un dessein populaire dans un thriller puissant et efficace. En suivant la lente spirale obsessionnelle de Chartier, incarné par le formidable Anthony Bajon, le cinéaste croise des thématiques chères à un auteur essentiel : William Friedkin.
Par-delà le bien et le mal
L'innocence contaminée par le Mal, qui détruit peu à peu la vie personnelle et intime du héros. Cette problématique centrale chez le réalisateur de L'Exorciste faisait la force de son polar extrême Cruising, un long-métrage auquel Le Dossier Maldoror se confronte intentionnellement et frontalement dès son générique. D'un point de vue purement esthétique, mais aussi dans son goût du faux suspense (l'identité du suspect et sa culpabilité ne laissent pas de place au doute). L'enquête dévorante plonge le protagoniste dans l'irrationnel. Le traitement âpre (dans l'héritage de French Connection) accentue sa perte d'équilibre et de repères. Par cette figure candide, en laquelle bout néanmoins déjà une colère sourde, Du Welz dépeint l'ambiance d'une époque délétère et d'une affaire qui a défrayé la chronique en plus de traumatiser durablement la Belgique. Le film devient le témoin actif de la blessure d'une nation autant qu'un possible avatar de son metteur en scène. Cette individualité, animée par un idéal, quitte à dépasser ses prérogatives et à s'exposer à des sanctions fragilisant son ascension, fait écho à un auteur qui n'a jamais pu se résoudre à un rôle de simple faiseur dans l'industrie. Ce dernier accouche d'une fresque policière à la durée fleuve, qui constitue, à ce jour, sa plus grande réussite.
Le Dossier Maldoror
De Fabrice Du Welz (Belgique, France, 2h35) avec Anthony Bajon, Alba Gaia Bellugi, Alexis Manenti...
En salle le 15 janvier 2025.