Solo / Régulièrement depuis plus de quinze ans Aurélie Pitrat réapparait à Lyon. Dans le cadre du festival Seul·tou dédié aux solos elle présente "Sept secondes d'éternité" sur la première femme apparue nue au cinéma, inventeuse aussi de l'ancêtre du wifi ! Portrait à double entrée.
C'est jeune diplômée du Conservatoire d'art dramatique d'Avignon que la Drômoise Aurélie Pitrat est arrivée à Lyon en 1999, pour intégrer le compagnonnage (dispositif d'emploi et de formation en alternance pour comédien) où elle croise notamment ceux avec qui elle fabrique ce collectif jubilatoire et déjanté qu'étaient les nÖjd (ah leur géniale Musica Deuxième puis leur Yvonne princesse de Bourgogne) où figurait aussi Guillaume Bailliart qui, avec le Groupe F_T^M_S, crée en ce moment Le Dernier monde de Céline Minard (à la Renaissance en février).
Ce qui anime Aurélie Pitrat c'est d'opérer un grand écart entre deux pôles du théâtre : « la liberté de l'écriture de plateau d'un côté et une langue très pensée au point que ce soit quasiment le vrai sujet » de l'autre. C'est ce qu'elle va expérimenter avec Oscar Gómez Mata en Suisse — où elle va longtemps travailler avec les salles de L'Arsenic, l'Usine puis la comédie de Genève — et Howard Barker. Après un stage avec ce tenant du « théâtre de la catastrophe » comme il le nomme pour dire celui d'une parole révulsée et violente, il lui confie un texte inédit et la met en scène dans Innocence (petite salle des Célestins en 2014).
Installée en Corse depuis dix ans « pour être face à la mer » et « surtout pas parce qu'aucun projet [l'y] attend », elle se construit une vie avec sa compagnie Animal 2nd dans ce territoire si différent de l'Hexagone — une seule source de financement public, la "collectivité de Corse" faisant office de DRAC, région, département et pas de théâtres labellisés nationalement (CDN, scènes nationales) — et poursuit ses créations. Parmi elles : Sept secondes d'éternité en 2021.
De l'Autriche à Hollywood
« Par hasard, sur le site de la Maison Antoine Vitez [NDLR : Centre international de la traduction théâtrale], pendant le Covid, j'ai trouvé ce texte de Peter Turrini ». Il correspond à une envie de la comédienne d'assumer une « responsabilité par rapport à [son] genre ». Sous ses fenêtres à Bastia, 500 jeunes filles (« c'est énorme pour ici ! ») « hurlent leur rage contre l'omerta à propos des abus sexuels intrafamiliaux », c'est le #IwasCorsica en écho au #metoo. À l'époque Aurélie Pitrat lit beaucoup de biographies de femmes mais s'arrête sur ce monologue « très théâtral » du dramaturge autrichien qui relate et fictionnalise un peu le destin de sa compatriote Hedy Lamarr, devenue mondialement connue en 1933 pour son rôle dans le film Extasy de Gustav Machiaty. Elle y est la première femme à apparaître nue au cinéma — pendant sept secondes. Icône glamour, mariée six fois, dévastée par la chirurgie esthétique sur la fin de sa vie (elle meurt à 85 ans en 2000), elle est aussi la créatrice du premier système de saut de fréquence destiné à protéger les connaissances en codant secrètement les transmissions. Le brevet qui rendra d'autres milliardaires lui passe sous le nez à cause de la Navy mais son invention est à la base du Bluetooth et du réseau wifi !
Dans cette pièce écrite en 2016 et qu'elle est la première à mettre en scène en France, Aurélie Pitrat incarne donc cette femme au seuil de son existence, acide comme le sont les personnages de Thomas Bernhard qu'elle avait déjà rendus si mordants dans Déjeuner chez Wittgenstein. Là encore, elle va déambuler dans le public avant de prendre place dans son décor. « J'aime dire bonsoir à chaque spectateur et ne pas m'adresser à une masse ». Prenez place !
Sept secondes d'éternité
Les 3, 4 et 13, 14 février au Théâtre de l'Élysée (Lyon 7e) ; de 11 à 15€
Dans le cadre du festival Seul·tou (du 1er au 21 février)