Musique classique / Poursuivant l'exploration de l'œuvre de Mahler, l'Orchestre National de Lyon s'attèle à son chef-d'œuvre, "Le Chant de la Terre". Et complète son programme avec une autre œuvre testamentaire, la 8ᵉ Symphonie de Schubert dite "symphonie inachevée".
Existe-t-il œuvre musicale plus émouvante que le Chant de la Terre de Gustav Mahler ? La question mérite d'être posée.
À l'été 1907, Mahler (1860-1911) est dévasté : sa fille aînée Putzi est emportée à quatre ans par une diphtérie foudroyante, et on diagnostique au musicien un problème cardiaque qu'il reçoit comme un arrêt de mort. Sans compter que Mahler est poussé à démissionner de l'Opéra de Vienne et que son couple avec Alma bat de l'aile. C'est dans ce contexte, pour le moins sombre, qu'il découvre la traduction allemande de poèmes chinois réunis sous le titre La Flûte chinoise. Un an plus tard, il compose une œuvre singulière, Le Chant de la Terre, une symphonie de six lieder écrits à partir des textes de La Flûte chinoise. Œuvre singulière puisque conciliant deux genres qu'à priori tout oppose : le lieder et la symphonie ! Soit la synthèse impossible de l'intime et du lyrisme orchestral. Mais c'est bien aux synthèses sublimatoires impossibles que Mahler s'attela toute sa vie, et ici non seulement entre deux formes musicales, mais aussi entre la mélancolie et la joie, le désespoir et le renouveau de la vie, la déréliction humaine et sa beauté...

L'Adieu
« Comment un musicien a-t-il pu, avec des moyens aussi raréfiés – une voix d'alto répétant les deux mêmes notes, quelques instruments bien choisis, un accord parfait d'ut majeur et une sixte “ajoutée” – suggérer, en quelques mesures et de manière aussi forte, le temps et l'espace sans limites, et avec des accents tout à la fois si douloureux et pourtant habités d'espoir et de sérénité ? » s'interroge le musicologue et biographe de Mahler, Henry-Louis de La Grange.
Parmi les six lieder, le dernier (aussi long que l'ensemble des cinq premiers), l'Adieu, est un moment inouï : vingt minutes de mélancolie et de foi irréductible, de retenue et de dépouillement, avec une matière musicale qui s'allège sans cesse, et une voix qui devient peu à peu aussi insaisissable et volatile qu'un pur mouvement de l'air... Mahler a écrit lui-même les derniers vers sur lesquels s'achève cet Adieu : « Partout, la Terre bien-aimée fleurit / au printemps et verdit de nouveau ! / Partout et éternellement, l'horizon sera bleu ! / Éternellement... éternellement... »
Si l'on croyait à la séparation de l'âme et du corps, on percevrait là rien moins que la première s'élever dans l'éther au-dessus du second. Étrangement, la première publique du Chant de la Terre sera jouée le 20 novembre 1911, six mois après la disparition du compositeur....
Le chant de la terre (F. Schubert Symphonie inachevée ; G. Mahler Das Lied von der Erde)
Les 30 janvier et 1er février à l'Auditorium (Lyon 3e) ; de 10 à 54€