Nouvelle tête / Ophélie Ramonatxo a pris ses fonctions de nouvelle directrice de la Bibliothèque municipale de Lyon (BmL) en janvier. Elle dirige désormais ce réseau de 16 établissements, accueillant près de 2 millions de visiteurs chaque année. Elle évoque ses ambitions ainsi que sa lecture des enjeux numériques et des défis d'inclusion.
Le Petit Bulletin : votre parcours vous a menée de la Seine-Saint-Denis aux ambassades de France au Royaume-Uni et en Espagne, puis à la Bibliothèque nationale de France (BnF). Comment ces expériences ont-elles influencé votre vision des bibliothèques ?
Ophélie Ramonatxo : Les bibliothèques ne sont jamais des entités isolées, elles fonctionnent dans un réseau, qu'il soit local, national ou international. La BmL possède la plus grande collection patrimoniale de France hors de Paris, mais son rayonnement international a été quelque peu délaissé ces dernières années. En Seine-Saint-Denis, j'ai vraiment compris l'importance du travail en collaboration avec les associations et les institutions culturelles. Plus tard, mes expériences à l'international m'ont permis d'observer d'autres modèles et de voir ce qui fonctionne ailleurs.
Au Royaume-Uni, par exemple, on met un accent très fort sur l'accueil et l'inclusion, avec des espaces pensés pour la convivialité et le travail collaboratif. En Espagne, j'ai vu une approche plus transversale, où les bibliothèques sont pleinement intégrées aux politiques culturelles locales. Ce sont des modèles inspirants, et je pense qu'il faut sans cesse enrichir notre réflexion avec ces expériences internationales.
Voyez-vous une spécificité française dans la manière dont les bibliothèques sont conçues et gérées ?
L'approche française est marquée par une grande attention à la qualité des collections et à la défense du pluralisme. Dans d'autres pays, on a parfois privilégié le développement des services au détriment des collections, en réduisant leur place pour libérer de l'espace ou en limitant les acquisitions.
Cela ne veut pas dire qu'il faut opposer services et collections, bien au contraire. Aujourd'hui, nous devons travailler à un équilibre entre ces deux dimensions. Nous vivons dans un monde où l'information est omniprésente et souvent brouillonne. Le rôle des bibliothèques est plus que jamais de proposer une sélection pertinente, de guider le public dans ses lectures et ses recherches. C'est pourquoi nous avons développé des recommandations, comme les macarons "Conseillé par votre bibliothécaire", qui permettent aux usagers de se repérer parmi l'abondance de contenus disponibles.
Le numérique prend une place croissante dans les bibliothèques. Comment abordez-vous cet enjeu à la BmL ?
La France s'est distinguée par l'excellence de ses bibliothèques numériques, à commencer par Gallica à la BnF, qui est référencée et enviée dans le monde entier. À Lyon, la BmL a été pionnière avec des services comme le Guichet du savoir, qui permet aux usagers de poser des questions auxquelles les bibliothécaires répondent avec des sources vérifiées. Mais il est crucial d'aller plus loin.
Nous travaillons sur une refonte complète de notre site internet, la modernisation de notre bibliothèque numérique et l'amélioration de l'accès aux ressources en ligne. L'enjeu est de permettre un accès fluide à la culture et à l'information, en complément de l'offre physique. Et nous avons aussi un rôle fondamental d'accompagnement : nos bibliothécaires sont formés pour aider les usagers à naviguer dans cet univers numérique, que ce soit pour réaliser des démarches en ligne ou apprendre à vérifier des sources. Toutefois cela ne signifie pas que le livre physique disparaît. Au contraire, les statistiques montrent que les prêts de livres restent soutenus, et même les DVD continuent à être empruntés en nombre.
Qu'en est-il des rénovations des bibliothèques du réseau, en particulier celles concernant la bibliothèque de la Part-Dieu ?
Les usages évoluent : les bibliothèques ne sont plus uniquement des lieux de lecture, mais aussi des lieux de travail et d'échange. Beaucoup d'usagers viennent aujourd'hui y étudier, télétravailler ou participer à des ateliers collaboratifs. Pourtant, nos bâtiments n'ont pas été conçus à l'origine pour ces nouveaux usages. Nous devons donc repenser nos espaces, en créant des zones adaptées aux différentes attentes, et ce sera tout l'enjeu des futurs projets de rénovation de la bibliothèque de la Part-Dieu qui est assez vieillissante. Nous devons aussi mieux nous connecter avec nos partenaires extérieurs : écoles, associations, maisons de retraite, centres sociaux pour qu'ils soient de véritables relais de notre institution.
Quels nouveaux services souhaitez-vous développer ?
Je crois aux démarches participatives. J'aimerais que les usagers puissent contribuer davantage à la création des services, à travers des ateliers de co-construction inspirés du "Biblio remix", un dispositif qui permet de repenser les bibliothèques en collaboration avec le public. Il est essentiel de les impliquer, car ce sont eux qui utilisent quotidiennement nos services et qui peuvent nous aider à les améliorer.
Nous devons aussi renforcer l'offre jeunesse. La Ville de Lyon a l'ambition d'être une "ville à hauteur d'enfants", et les bibliothèques ont un rôle clé à jouer dans cette dynamique. À Lyon, chaque écolier se voit proposer une carte à la bibliothèque dès son inscription à l'école. Cela permet de familiariser très tôt les enfants avec ce service et d'encourager la lecture dès le plus jeune âge. Cette initiative touche bien au-delà des enfants eux-mêmes : elle implique aussi les familles, les enseignants et les professionnels de la jeunesse, créant un écosystème autour du livre et du savoir.
Il faut cependant garder en tête que nous avons un réseau très actif et que chaque changement peut générer un volume de travail conséquent, notamment en termes de gestion des collections et de médiation avec les publics. C'est donc important pour moi de prendre en compte la charge de travail des équipes et de m'assurer que chaque projet soit mis en place dans de bonnes conditions. Nous devons trouver un équilibre entre ambition et faisabilité, en expérimentant d'abord certaines initiatives à petite échelle avant de les déployer plus largement. C'est une question de qualité de services, mais aussi de bien-être au travail pour nos bibliothécaires, qui sont au cœur de ce réseau et qui doivent pouvoir exercer leur mission dans les meilleures dispositions possibles.
Bio express :
2003 : Obtention d'un master en ingénierie et communication culturelles à l'Université de Nice Sophia Antipolis.
2006 : Obtention du diplôme de conservateur territorial des bibliothèques.
2006 - 2010 : Directrice des médiathèques de la communauté d'agglomération de l'aéroport du Bourget.
2010 : Contribution à l'ouvrage Communiquer ! Les bibliothécaires, les décideurs et les journalistes (Presses de l'Enssib).
2011 : Participation à l'ouvrage Concevoir et construire une bibliothèque (Éditions du Moniteur).
2010 - 2016 : Directrice de la médiathèque et de Culturethèque à l'Institut français du Royaume-Uni à Londres, coordonnant également l'ensemble des bibliothèques françaises au Royaume-Uni.
2020 : Formation en économie immobilière au Conservatoire national des Arts et Métiers (CNAM).
2021 - 2024 : Conservatrice en chef, membre du comité de direction de la Bibliothèque nationale de France (BnF), en charge des relations internationales.
2024 : Nommée directrice des bibliothèques de Lyon.