Vie nocturne / Après plusieurs années de présence informelle, le Collectif Culture Bar-Bars (CCBB) officialise son implantation lyonnaise. Face aux difficultés grandissantes liée à la vie nocturne — pression immobilière, restrictions administratives, précarisation des artistes — la structuration de ce réseau national pourrait peser dans les discussions avec les pouvoirs publics et offrir un cadre d'action plus cohérent aux bars culturels.
La question du tapage nocturne risque-t-elle de tourner au dialogue de sourds ? Le CCBB à Lyon entend bien éviter cet écueil. Né en terre bretonne à Nantes 1999, le collectif regroupe aujourd'hui plus de 500 cafés-concerts, clubs, cafés à programmation culturelle et bistrots à travers la France. Son objectif est de fédérer ces établissements pour répondre d'une seule voix aux problématiques liées à la vie nocturne, telles que les débats autour des horaires d'ouverture, les relations avec les riverains, la prévention des risques par exemple.
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Une scène nocturne en quête de structuration
Longtemps restée en retrait, Lyon et sa scène bouillonnante s'imposait comme un terrain d'implantation rêvé pour la fédération CCBB. Dès 2016, certains établissements lyonnais ont rejoint le mouvement, accélérant une dynamique qui a conduit à la création d'une antenne locale en janvier dernier.
Le CCBB défend la dimension culturelle de la vie nocturne, en mettant en avant des animations variées telles que des concerts, du stand-up, des expositions, des cabarets ou encore des drag shows. Ces activités insistent sur la distinction entre un bar culturel et un simple débit de boissons. « On parle d'un espace qui favorise l'expression artistique et la mixité, loin de l'image archaïque du comptoir », explique Lyane Saint Pierre, chargée de mission au sein du collectif.
Pour marquer son implantation à Lyon, le CCBB a organisé fin janvier une table ronde réunissant des gérants d'établissements, des artistes, des élus et des membres du collectif à La Grooverie, bar du 1ᵉʳ arrondissement. Ce quartier, place forte des bars culturels lyonnais, est confronté à une densification urbaine et à des tensions croissantes entre vie nocturne et cohabitation avec les riverains. La table ronde a permis aux gérants de bars et des clubs lyonnais d'exprimer leur sentiment d'isolement face aux décisions administratives.
Vers un dialogue constructif entre acteurs de la nuit et riverains ?
Balthazar Le Bihan, gérant de La Grooverie et président de la nouvelle antenne lyonnaise du CCBB, exprime son exaspération : « Les politiques de la nuit sont souvent décidées sans nous. On subit des contrôles de plus en plus fréquents, des fermetures arbitraires sous la pression des voisins. On veut des solutions qui permettent à la culture de vivre ». Lyane Saint Pierre abonde : « Les bars-culturel et les clubs à programmation culturelle ont été jugés comme des établissements non essentiels durant le Covid et ils en payent encore les frais. Il faut sortir du face-à-face entre bars et riverains. On peut imaginer des dispositifs d'isolation sonore cofinancés, ou des médiations plus systématiques avant d'en arriver aux sanctions ».
En effet, les gérants de bars culturels doivent composer avec de nombreuses obligations administratives et techniques. Pour diffuser de la musique, ils doivent obtenir une autorisation préalable auprès d'organismes comme la SACEM et s'acquitter de redevances. La réglementation impose aussi un niveau sonore maximal de 105 décibels, nécessitant une étude d'impact puis l'installation de limiteurs de décibels. Autant de contraintes qui alourdissent la gestion des bars auquel s'ajoute la multiplication des plaintes de riverains, « de plus en plus procéduriers » rapportent plusieurs gérants.
Yasmine Bouagga, maire du 1ᵉʳ arrondissement (Les Écologistes), reconnaît la nécessité d'un dialogue régulier « Nous devons trouver un équilibre entre respect du voisinage et préservation des lieux culturels, qui sont essentiels à l'animation de notre quartier. Cela doit passer par une volonté de se mettre autour d'une table pour dialoguer, ce qui nous a peut-être manqué dans les échanges avec le bar Les Valseuses (NDRL : Le bar a annoncé fin janvier être placé en liquidation judiciaire après trois fermetures administratives quasi consécutives pour "nuisances sonores") ».
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Autre enjeu de taille : le financement des artistes. Depuis 2015, le fonds national GIP Cafés Cultures, soutenu par le CCBB, permet aux bars de rémunérer musiciens et techniciens avec l'aide des collectivités et du ministère de la Culture. Un coup de pouce précieux, mais encore trop méconnu et tributaire de la volonté politique locale.
Des avancées significatives
Le CCBB a déjà obtenu quelques victoires, notamment l'extension du principe d'antériorité aux activités culturelles, sportives et touristiques en 2019. En théorie, cela signifie que les riverains d'un bar ou d'un club ne pourront plus demander des réparations pour des nuisances sonores si l'établissement était déjà installé à leur arrivée. En pratique, les restrictions restent nombreuses et de nombreux lieux ont cessé d'accueillir des concerts par crainte des plaintes.
Le collectif milite également pour une réflexion sur les politiques de la nuit, notamment en termes de droit à la fête bienveillante. « Il faut arrêter de penser les établissements de nuit uniquement sous l'angle des nuisances. Ils sont aussi un vecteur de lien social et de culture » martèle Chloé Le Bail, directrice exécutive du CCBB, aussi présente lors de la table ronde.
La nuit n'a donc pas dit son dernier mot. Avec cette antenne locale, le CCBB entend relancer le débat et rappeler que les bars sont des acteurs culturels essentiels. Pour marquer son ancrage, un grand événement est déjà dans les cartons : le festival Club Culture, prévu le 16 mai au Sucre, mettant en avant l'importance des bars culturels dans l'écosystème artistique et social de la ville.