Féminisme et santé mentale / Avec "Mon vrai nom est Elisabeth", Adèle Yon signe un premier roman brillant, entre enquête familiale et essai engagé sur la figure de son arrière-grand-mère, femme émancipée avant l'heure, incomprise et anéantie par sa famille et son époque.
La narratrice, qui n'est autre qu'Adèle Yon, enquête sur son arrière-grand-mère, diagnostiquée schizophrène dans les années 1950. Empêtrée dans des relations toxiques et craignant de devenir folle, elle questionne sa famille sur ce personnage tabou : Elisabeth, dite Betsy. Personne n'en parle, et d'ailleurs personne n'a vraiment d'informations à son sujet, à part quelques bribes, toujours les mêmes, de celles que l'on entend et répète sans réfléchir. Presque personne, car certaines voix isolées disent que Betsy n'était pas folle du tout. Beaucoup disent que cela allait mal avec son mari André. Alors elle creuse, chercheuse de profession, elle interroge les documents : les archives des hôpitaux où Betsy a passé dix-sept ans de sa vie contre son gré, sa correspondance avec André avant leur mariage. Elle interroge aussi des membres de sa famille inconnus jusque-là, des professionnels de santé, des historiens. Et s'intéresse de plus près au diagnostic de sa schizophrénie et au contexte de sa lobotomie.
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Et là, "paf", le chapitre trois. Un chapitre en forme d'essai, qui tranche avec l'enquête familiale. Un détour historique et géographique pour résumer et comprendre l'histoire de la lobotomie. Développée par Walter Freeman à la fin des années 30, un psychiatre américain qui opérait à la chaîne pour vingt-cinq dollars pièce (avec un pic à glace par le globe oculaire, plus spectaculaire), la technique a ensuite été adoptée en Europe. Premier constat : « durant les dix années que dure la pratique intensive de la lobotomie (1945-1955) et dans tous les pays concernés, les critères employés pour juger de la réussite de l'opération chez les femmes sont résolument et invariablement misogynes ». Outre une surreprésentation des femmes (et juste derrière, des enfants) chez les personnes ayant subi une lobotomie, les observations reposent sur leur docilité retrouvée.
Deuxième constat : « Elle n'a pas une fonction thérapeutique mais une fonction sociale. » Autrement dit, l'objectif de l'opération n'est pas « d'ôter la partie du cerveau en cause dans la maladie mentale », comme cela se disait à l'époque, mais bien de neutraliser les comportements « gênants » du sujet. « Le critère de guérison est explicitement l'intérêt du groupe et non l'intérêt individuel. On peut même aller plus loin : la lobotomie est une opération pratiquée en conscience pour juguler certains comportements portant préjudice au bon fonctionnement du groupe ». Troisième constat : « Qui décide que le comportement d'un individu porte préjudice au bon fonctionnement du groupe ? (...) Et surtout : de quel droit ? (...) La lobotomie se situe dans une zone grise entre la réparation et la punition de comportements qui, dans tous les cas, incommodent une société patriarcale et traditionnelle. Car il n'est pas rare, en effet, que la lobotomie fasse figure de châtiment. » Un premier livre d'utilité publique et brillamment ficelé, dont on suivra l'autrice avec attention.
Mon vrai nom est Elisabeth d'Adèle Yon (éditions du sous-sol) ; 22 €
Rencontre avec Adèle Yon le 12 mars à 19h à la librairie L'Astragale (Lyon 6e) ; gratuit sur réservation
