Grève / Depuis le 12 février, les musiciens accompagnateurs du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP) et de Lyon (CNSMDL) ont cessé le travail. Au cœur de leurs revendications : une rémunération jugée indigne au regard de la charge de travail et du niveau d'excellence exigé. Face à une mobilisation croissante, le ministère de la Culture est interpellé.
Dans l'ombre des grandes carrières solistes, les musiciens accompagnateurs jouent un rôle central dans la formation des futurs artistes de haut niveau. Ils sont présents à chaque étape de leur cursus, depuis les classes de chant jusqu'aux déchiffrages complexes pour instrumentistes, en passant par les concours internes. Leur situation salariale est considérée « indécente » par les grévistes.
Avec un traitement de départ avoisinant les 1 400 € nets par mois en début de carrière pour un temps plein, ces professionnels, souvent titulaires de plusieurs diplômes de haut niveau, sont bien loin des rémunérations de leurs homologues de l'enseignement initial. Leur grille indiciaire, inchangée depuis 2003, est plafonnée à 1650 € net en fin de carrière.
Une rémunération qui ne reflète pas la charge de travail réelle, incluant répétitions, préparation des concours et autres tâches non comptabilisées. « On nous demande une préparation minutieuse pour chaque élève, ce qui implique des heures de travail invisibles, non rémunérées. Or, nous sommes payés à peine plus que le SMIC pour une compétence de spécialiste », s'indigne une accompagnatrice du CNSMDP, préférant garder l'anonymat.
Un soutien massif du monde musical
Face à cette précarité structurelle, le mouvement a rapidement reçu le soutien des enseignants et des élèves des deux CNSMD. Plusieurs grèves perlées ont eu lieu ces dernières semaines, et une manifestation a été organisée devant le ministère de la Culture.
Un nouvel élan est venu d'une tribune signée par près de 1 400 personnalités du monde musical. Parmi eux, les chefs d'orchestre Alain Altinoglu, Raphaël Pichon et Tugan Sokhiev, des figures majeures du chant lyrique telles que Natalie Dessay, Karine Deshayes et Ludovic Tézier, ainsi que des instrumentistes dont Katia et Marielle Labèque, Bertrand Chamayou et Nemanja Radulovic.
À lire aussi dans Le Petit Bulletin : Katia et Marielle Labèque : « Cette trilogie est un dialogue intense entre lumière et ombre »
Une revendication salariale qui tarde à aboutir
Si la mobilisation a déjà permis d'obtenir la reprise partielle de leur ancienneté, la question centrale des salaires reste sans réponse satisfaisante. Les accompagnateurs demandent une revalorisation de leur grille salariale à un niveau au moins équivalent à celui de leurs homologues des conservatoires régionaux (CRR) parfois mieux lotis.
Le CNSMDL, contacté, rappelle que des discussions sur la revalorisation des grilles indiciaires ont déjà été amorcées en 2018. L'établissement a également mis en place une charte des accompagnateurs professionnels, visant à améliorer leurs conditions de travail. Cependant, la question des salaires dépend du ministère de la Culture, avec qui les discussions sont toujours en cours. « Nous sommes conscients des difficultés rencontrées et suivons attentivement les échanges en cours », déclare la direction, tout en laissant entendre que la décision finale ne leur appartient pas directement.
CNSMDP, CNSMDL, CRR : qui gère quoi ?
Le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP) et celui de Lyon (CNSMDL) sont les deux seules institutions en France à délivrer un enseignement musical et chorégraphique de niveau supérieur, sous tutelle directe du ministère de la Culture. Elles forment l'élite des musiciens et danseurs destinés à une carrière professionnelle.
En parallèle, les Conservatoires à rayonnement régional (CRR), gérés par les collectivités locales, dispensent un enseignement initial et préprofessionnel, pouvant mener jusqu''à l'entrée dans un CNSMD. Ces structures emploient souvent des enseignants mieux rémunérés que les accompagnateurs des CNSMD, un paradoxe pointé du doigt par les grévistes.
Une mobilisation qui se poursuit le 3 mars
Malgré l'absence d'avancées concrètes sur leur revendication principale, les accompagnateurs restent mobilisés. Une journée d'action est prévue le lundi 3 mars, avec une nouvelle manifestation et une pression maintenue sur le ministère de la Culture. « On ne demande pas la lune, juste une grille de salaire décente », déplore une accompagnatrice du CNSMD.
Le combat des accompagnatrices et accompagnateurs révèle une réalité plus large : celle d'un monde musical où l'excellence se construit souvent au prix de conditions de professions précaires, y compris pour celles et ceux qui forment les futures grandes figures de la musique classique. Reste à voir si le ministère entendra leurs revendications.