Hurlements / Mike Leigh revient au contemporain et retrouve Marianne Jean-Baptiste (exceptionnelle), dans une comédie dramatique cruelle et émouvante. Son meilleur film depuis près de vingt ans !
Le temps du générique inaugural, Mike Leigh dévoile son décor (une zone résidentielle) avant que sa caméra ne se fige sur une maison. Un cri au réveil, celui de l'héroïne Pansy, nous fait brutalement pénétrer à l'intérieur en même temps qu'il intronise un personnage haut en couleur. Dans une théâtralité assumée, le cinéaste britannique élabore un jeu de massacre jouissif et méchant, d'une vitalité qu'on ne lui soupçonnait plus. Cela, jusque dans le travail avec les acteurs et les nombreuses répétitions en amont. Pansy est en colère contre tout et tout le monde, jusqu'à l'épuisement. Elle est observée avec malice mais sans jugement, de la part d'un auteur qui a autrefois pu pécher par cynisme.
Madre
La phénoménale interprétation de Marianne Jean-Baptiste, qui avait déjà tourné pour le réalisateur dans sa Palme d'Or, Secrets et mensonges, est l'atout majeur de Deux sœurs . Au diapason d'un excellent casting, elle hérite d'un type de rôle généralement dévolu aux hommes (Monsieur Schmidt ou les excès misanthropes du Mr Turner du même Leigh). C'est elle qui dicte le rythme du long-métrage, ses ruptures de ton, mais aussi l'impulsion de la mise en scène (très intelligente et faussement invisible) ainsi que le montage. Aigrie, désagréable, souffrant d'un profond mal-être, la mère de famille enchaîne les répliques cinglantes. Elle détruit l'hypocrisie de ses contemporains, des membres de sa famille ou des inconnus (on souligne une scène jouissive dans un magasin de meubles). Paradoxalement, sa haine apparaît comme son vecteur de lien social, tantôt gratuite, tantôt désespérée, contribuant subtilement à l'humaniser. Si le film évite fort heureusement toute forme de psychologisation, le cinéaste brosse en revanche un portrait peu flatteur d'une société déliquescente où le conflit et le clash sont érigés en valeurs cardinales. Ni le vivre ensemble (un mirage), ni le communautarisme (une impasse) ne trouvent grâce à ses yeux. Seule subsiste l'empathie qui coexiste avec une volonté farouche et louable de refuser une résolution en forme de happy end factice.
Famille, je vous hais
Les deux sœurs du titre français (la version originale, Hard Truths, est nettement plus pertinente), ce sont Pansy et Chantal. Deux caractères opposés que Leigh présente l'une après l'autre avec pour point commun, une verve certaine. Ici, le dialogue, au centre du dispositif de mise en scène, revêt deux fonctions, l'une débordante de vie, l'autre mortifère. D'un côté, Chantal, patronne d'un salon de coiffure, se sert des mots pour sociabiliser, nouer des liens, chercher au plus profond de l'autre. À l'opposé, Pansy use de son langage châtié pour punir ceux qui la dérangent et exister tout en se coupant du monde. Une superbe scène clef viendra craqueler le vernis des apparences, révéler les traumas passés, réunir les contraires. Au centre des problématiques, la maternité comme un poids et un sacerdoce, loin de l'image de la famille comme noyau solidaire et réunificateur. Plus que des sœurs, ce sont aussi des mères tiraillées entre leurs échecs et leurs réussites. Un très bon cru.
Deux sœurs
De Mike Leigh (Espagne, Grande-Bretagne, 1h37) avec Marianne Jean-Baptiste, David Webber, Michele Austin...
En salle le 2 avril 2025