Nouvelle tête / Ex directrice aux études de l'École de la Comédie de Saint-Étienne, Duniému Bourobou a pris ses fonctions de directrice de La Machinerie – Théâtre de Vénissieux et Bizarre! le 2 septembre 2024, succédant ainsi à Françoise Pouzache qui était directrice du Théâtre de Vénissieux puis de La Machinerie depuis 2011.
Le Petit Bulletin : En quoi ce poste vous a-t-il séduit ?
Duniému Bourobou : J'ai été attirée par Vénissieux, notamment son identité liée aux histoires ouvrières et celles des migrations. Je fais un parallèle avec Saint-Étienne, qui est aussi un territoire porteur de ce type d'héritage singulier. Celui-ci est valorisé par le hip-hop mais aussi par les nouvelles écritures que l'on peut voir et entendre à La Machinerie, traçant des chemins d'émancipations qui questionnent la notion d'égalité des chances.
LPB : Vous devez faire le pont entre deux institutions très différentes : Bizarre! Qui s'est montée comme une association de promotion des cultures urbaines et du rap pour l'agglomération de Lyon, à qui la Ville de Vénissieux a mis à disposition un lieu dédié, transformant l'association en régie autonome personnalisée en 2016 et en même temps le théâtre de Vénissieux, scène conventionnée d'intérêt national — art et création avec des artistes en résidence.
DB : La Machinerie est unique en France, il y a d'autres structures où il y a à la fois des musiques actuelles et une programmation pluridisciplinaire mais ce n'est pas la même chose qu'ici. Nous jouissons d'un équipement bicéphale orienté à la fois hip-hop et théâtre, sans qu'il n'y en ait un qui prenne le pas sur l'autre. Je viens plutôt du monde du théâtre. J'ai surtout accompagné des artistes et des metteuses et metteurs en scène. J'avais abordé la question musicale mais c'est vrai que ce ne sont pas du tout les mêmes enjeux professionnels, socio-professionnels et économiques.
En candidatant pour le poste, j'ai réalisé qu'il y a un endroit où les deux milieux peuvent être poreux l'un avec l'autre. Ces deux univers qui s'influencent, qui se nourrissent représente un atout formidable, on peut puiser dans les forces de chacun de ces univers et La Machinerie est un laboratoire très pertinent pour le faire. Je trouve intéressant de noter qu'on est l'une des seules structures qui touchent toutes les tranches d'âge grâce à la programmation des deux lieux. Cela permet de repenser, de retravailler le concept de culture légitime. Le 19 juin prochain, on dévoilera plus en détail la nouvelle identité de la structure, soulignant le projet global.
LPB : Bizarre! a un rôle prescripteur spécialisé dans le rap et les musiques hip-hop. N'avez-vous pas peur de perdre cette identité différenciante en insistant sur la structure globale ?
DB : Je suis la première directrice à avoir postulé pour les deux salles, c'est complètement nouveau par rapport à l'histoire de La Machinerie. C'était effectivement un enjeu de ne plus parler de ces deux lieux isolément l'un de l'autre, de souligner les endroits de convergence. La saison prochaine, il y aura d'ailleurs des artistes programmés à cheval sur les deux structures.
Les identités et esthétiques du théâtre comme de Bizarre! ne sont plus à questionner, elles sont déjà établies. En revanche, créer des ponts entre les deux nous incite à aller chercher des artistes qui peuvent fonctionner à ces deux endroits à la fois, où la question de la poésie, du poème peut nous faire louvoyer entre formes musicales et théâtralisées par exemple, ce qui est plutôt fertile.
LPB : Vous avez candidaté en proposant un projet : Porter sa voix. Celui-ci a été choisi par la Ville de Vénissieux, la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes et la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Il s'inscrit dans la continuité du projet de La Machinerie, reliant le Théâtre de Vénissieux et Bizarre! — scène hip-hop. Quelles en étaient les lignes directrices ?
DB : La réflexion de départ était : comment peut-on faire entendre les voix du territoire et les récits du territoire ? Nous souhaitons continuer à nous intéresser aux récits minorés, ceux de la classe ouvrière, de l'immigration, des minorités. Cela en s'ancrant dans le territoire, en impulsant des endroits de création par la quotidienneté.
L'année prochaine sera ma première programmation. Nous allons valoriser les récits inentendus en questionnant le langage, notamment en invitant des locuteurs d'autres langues. Certaines choses seront traduites et d'autres non, car parfois, la langue peut faire partie de la poésie d'un spectacle comme d'un concert. Il y aura d'ailleurs un temps fort autour de la littérature mise en musique entre Bizarre! et le théâtre de Vénissieux.
Le dispositif "La fabrique des histoires" s'inscrira dans la continuité de cette dynamique. On invitera cinq artistes associés, Sean Heart, Diaty Diallo, Lisette Lombé, Christel Zubilaga et Marlène Gobber ; c'est avec eux que nous allons aller sur le terrain, creuser les choses qu'on pourrait apporter et qui pourraient faire partie du quotidien de la ville. L'idée sera peut-être de présenter des choses tantôt au théâtre, tantôt dans l'espace urbain.
On veut accorder nos intérêts, nos pratiques, nos regards au territoire, et ne pas incarner qu'un "endroit à spectacles" ou "un endroit à concert" en accueillant aussi ce qui fait la quotidienneté des Vénissians dans nos structures. Au théâtre, on pourra à la fois voir des artistes mais aussi, de temps en temps, l'association de bridge du coin, et pourquoi pas, une pétanque.
On a aussi mis en place un autre dispositif qui est un lieu d'accompagnement des pratiques libres, celles qui ne sont pas encore "captées" par l'institution. On essaye de questionner l'accompagnement préprofessionnel de certaines pratiques comme le rap, le slam ou même le stand-up, de proposer la nôtre sans reproduire l'école.
C'est dans cette logique que s'inscrit depuis quelques temps déjà les dispositifs Plan B [accompagnant de jeunes rappeuses et rappeurs ndlr] et plus récemment le dispositif Draft [accompagnant de jeunes danseuses et danseurs hip hop ndlr] de Bizarre! qui accompagnent à la fois sur le plan technique, artistique et qui sont aussi pourvoyeurs de connaissances sur un univers et son économie, l'industrie musicale. On se fait d'ailleurs accompagner pendant qu'on accompagne pour ne pas perdre la main et rester un lieu ressource.
LPB : À la Comédie de Saint-Étienne, vous avez participé au lancement d'un programme égalité des chances. Quel est ce projet, quelle est sa continuité à La Machinerie ?
DB : C'est Arnaud Meunier [ex-directeur de la Comédie de Saint-Étienne ndlr] qui avait eu cette idée-là. Les élèves pris en écoles d'arts dramatiques viennent tous des mêmes milieux. On a lancé une classe préparatoire intégrée, sélectionnant uniquement des étudiants issus des milieux populaires (bénéficiant des bourses du CROUS) ainsi que des stages de 4 ou 5 jours en compagnie d'artistes.
Cette saison, on accueillera un de ces stages au théâtre, en prenant des Vénissians, pour les initier au théâtre. Il faut que les récits changent, que les écoles acceptent d'autres profils. Il y a trop de choses pas racontées, ou mal racontées parce que retracées par des personnes qui ne sont pas concernées.