Tiers-lieu / À Oullins-Pierre-Bénite, le projet Spark porté par Ninkasi, Etic et Graines de sol entend transformer un ancien site industriel en tiers-lieu culturel et économique. Si l'ambition est là, la concrétisation se fait attendre, et soulève déjà quelques interrogations locales.
Né d'un croisement entre « valeurs communes » et « rencontres inspirées », Spark s'annonce comme un laboratoire urbain de 8 000 m², dans la zone d'aménagement concertée (Zac) de La Saulaie. Ses porteurs : Ninkasi, brasseur culturel bien connu ; Etic, foncière éthique spécialisée dans l'immobilier à vocation sociale ; et Graines de sol, coopérative d'insertion implantée à Oullins-Pierre-Bénite.
L'ambition affichée est de faire de ce tiers-lieu un « poumon de quartier » selon Alexandre Queneau, responsable marketing musique et média chez Ninkasi, alliant salle de concerts modulable, bureaux mutualisés, cuisines collaboratives et halle polyvalente. Une utopie urbaine pensée pour 2027-2028, après une phase de préfiguration dès 2025. Mais pour l'heure, le site reste un terrain vague bordé d'intentions. Aucune grue, aucune signalétique : le serpent de mer d'un projet urbain à la Saulaie peine à se matérialiser.
Un montage économique aussi hybride qu'ambitieux
La force du projet tient à sa transversalité. Mais cette même diversité rend l'équilibre budgétaire délicat à anticiper. Spark repose sur une architecture complexe : loyers solidaires, billetterie, restauration (avec Nomad kitchens), mutualisation des ressources, subventions potentielles... autant de leviers qui doivent cohabiter sans faire vaciller l'ensemble.
Pour Alexandre Queneau (Ninkasi), « ce lieu doit répondre à un vide dans la métropole : une salle intermédiaire, de 300 à 800 places avec 180 levers de rideaux par an, capable d'accueillir des concerts en jauge souple et de fonctionner en synergie avec d'autres activités ». Le modèle s'inspire de tiers-lieux culturels comme Transfert à Nantes ou de l'expérience d'Hévéa à Lyon dans le 7ᵉ arrondissement, dont le fonctionnement en coopérative montre qu'un ancrage dans l'économie sociale et solidaire peut rimer avec stabilité dans le temps.
Mais encore faut-il s'accorder sur ce que recouvre la notion même de "tiers-lieu". Nés en marge des circuits institutionnels classiques, ces espaces hybrides entendent décloisonner les usages — entre travail, culture, formation, convivialité — en misant sur la porosité des fonctions et la gouvernance partagée. Ni tout à fait lieu de production, ni simple salle de spectacles, ni strict centre social, un tiers-lieu est par définition ce qui échappe aux catégories — et qui s'invente au fil des usages.
Spark entend pleinement assumer cette identité mouvante : il ne s'agira pas d'un simple espace à louer, mais d'un lieu de coopération active, où cohabiteront associations, artistes, entreprises de l'ESS et structures de formation, autour de ressources partagées et écologiques. Mais il ne se déploiera pas dans un vide. Il s'inscrit dans un projet d'urbanisme plus vaste qui est la transformation de La Saulaie, friche ferroviaire de 20 hectares en lisière de la Mulatière, appelée à devenir un "quartier durable" mêlant logements, école, commerces et espaces verts. Portée par la SERL et la Métropole de Lyon, cette recomposition urbaine mise sur la densité maîtrisée et l'accessibilité en transports doux. Dans cette trame encore largement à l'état de jachère, Spark ambitionne de jouer un rôle de catalyseur.
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Une greffe urbaine à prendre
À la croisée des intentions politiques et des dynamiques citoyennes, le projet Spark s'implante finalement dans un territoire en suspension. La Saulaie, frange sud d'Oullins, longtemps considérée comme une réserve foncière dormante. Ni tout à fait friche, ni vraiment quartier, cet interstice accueille désormais des promesses de ville durable.

Anaïs W., 43 ans, habite depuis trois ans près du site. Elle a été interrogée en tant que panel d'habitants et accueille le projet avec intérêt : « Sur le papier, c'est enthousiasmant. Il y a très peu de commerces ou de lieux de rencontres ici. Des terrasses, ce serait super pour dynamiser le quartier. » Mais elle pointe aussi le flou des projections : « On n'a pas vraiment d'informations claires. Le projet a pris du retard. Mon voisin installé depuis plus longtemps que moi dans le quartier en a ri en me disant que ça faisait des décennies qu'on parlait de réaménagement, sans rien voir venir. »
À l'enthousiasme prudent s'ajoute une forme de méfiance, diffuse mais tenace, autour de la dimension festive du lieu. « Dès qu'on évoque l'existence d'une future salle de concerts, certains pensent nuisances, flux, sécurité... Il faudra être vigilant. » Elle nuance toutefois : « J'habite près des Grandes Locos, et à part quelques perturbations, la cohabitation avec Nuits Sonores s'est très bien passée. J'espère qu'on restera dans cet esprit. »
Côté porteurs de projet, le message se veut rassurant : l'ouverture sera progressive, la programmation pensée dans un dialogue constant avec les riverains et une communication de terrain doit permettre de dissiper les malentendus. Mais il faudra sans doute prévoir quelques ajustements en chemin.
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Une préfiguration qui prend doucement forme
Pour poser les bases de cette future ruche coopérative, une structure associative est en cours de montage avec un premier événement grand public annoncé pour juin 2025, sur le terrain même de La Saulaie. En attendant, l'association s'attelle à construire une gouvernance partagée, recruter ses membres et structurer ses actions. « Ce n'est pas un projet posé d'en haut, il s'écrit avec les acteurs du territoire », insiste Gaspard Marjollet de Graines de sol. « Nous nous sommes rapprochés de différentes structures comme Music85, le Théâtre de la Renaissance ou le centre socioculturel Acso... » abonde Alexandre Queneau.
Pour l'heure, tous les détails ne sont pas arrêtés, « nous sommes à l'étape du plan-guide », rappellent les membres du projet. Les investissements ne sont pas finalisés, et le plan d'affaires reste en construction. « On essaie de co-construire un modèle où le prix ne dépendra pas du niveau de subvention. Il faut que ça puisse tourner à long terme », résume Fabien Besson, directeur du développement immobilier chez Etic.