Théâtre / Pour sa 5ᵉ édition, la troupe éphémère du TNP constituée d'amateurs et amatrices n'est plus seulement portée par des ados mais aussi par des beaucoup plus jeunes... et des beaucoup plus vieux ! Dans "La Nuit du cœur", toutes et tous se sont tournés vers les mots de l'écrivain Christian Bobin sous la houlette de Jean Bellorini.
Si s'adresser aux générations qui viennent est une évidence, ne pas oublier les anciens a été le mantra de cette saison de théâtre au TNP, comme en témoigne le portfolio de photos de la plaquette (signé Jacques Grison) et qui a fait honneur aux abonnés de longue date, « à ceux qui transmettent leur passion à leurs proches et qui entretiennent la flamme du TNP depuis des décennies » est-il légendé.
Il était donc tout naturel que la troupe éphémère soit pour la première fois transgénérationnelle. C'est lorsqu'il dirigeait le centre dramatique national Gérard-Philipe à Saint-Denis que Jean Bellorini a créé ce dispositif annuel qui permet à une vingtaine d'amateurs et d'amatrices adolescents de faire du théâtre et de se produire dans les mêmes conditions que des professionnels : sur le grand plateau avec l'équipe technique à disposition pour faire en sorte qu'ils et elles ne soient pas relégués dans une salle annexe. L'honneur de fouler cette grande scène mythique ne doit pas être le privilège de quelques-uns. C'est une façon d'incarner la notion de "théâtre populaire".
Pour cette 12e "promo", la 5e villeurbannaise, ils sont 28 et ont entre 6 et 96 ans, sautillent partout, sont en déambulateur voire en fauteuil, parlent plus ou moins le français – certains sont arrivés en France il y 2 à 3 ans et portent parfois le voile sur scène comme à la ville. Il n'y a pas eu d'auditions, mais Jean Bellorini et sa collègue assistante à la mise en scène de ses spectacles, Mélodie-Amy Wallet ont donné des ateliers à des élèves d'écoles primaires de la ville et sont également allés dans les centres sociaux, ehpad et résidences pour seniors. Ils y ont fait des ateliers et ont fait advenir le théâtre presque par effraction : « nous étions en cercle et je racontais ce que nous faisions au TNP, les spectacles qui étaient programmés au moment où je leur parlais, pour qu'ils puissent avoir l'impression d'en être. Et tout en continuant à raconter, je leur disais : « Levez-vous, madame », j'envoyais de la musique, avec mon téléphone, et le théâtre arrivait », relate Jean Bellorini dans la revue du théâtre, Bref. Et ainsi, il a pu « rendre invisible la frontière entre le « je suis » et le « je joue ».
De 6 à 96 ans
Ce travail est aussi la face cachée de ce que fabriquent les théâtres hors programmation, la face immergée de cet iceberg. C'est à la fois l'investissement des chargés de "relations public" mais aussi celui des "personnes relais" de ces établissements senior à l'instar des enseignants en milieu scolaire. « Le théâtre peut encore être une mission de service public grâce à ces gens » rappelle le metteur en scène.
Cette année, toute cette équipée se met au service des mots d'amour mais aussi de la profonde et bouleversante écriture de Christian Bobin sur les infimes instants de joie qui nous relient à ceux présents et aux autres déjà partis, en parcourant les si délicats La Part manquante ou encore Une petite robe de fête.
Alors qu'il a annoncé récemment qu'il ne briguerait pas un troisième mandat à la tête du TNP et qu'il rejoindrait le théâtre de Carouge à côté de Genève, Jean Bellorini est encore pleinement au TNP jusqu'à fin décembre 2026 et au-delà de ses grandes créations (Le Suicidé, Histoire d'un Cid...), il s'investit dans ce travail ou dans celui mené avec les jeunes afghanes qui ont fui les Talibans en 2021 – ce mois d'avril, elles rencontraient un grand succès aux Bouffes du Nord à Paris avec Les Messagères créé au TNP en juin 2023.
Ce projet avec la troupe éphémère s'est déroulé en quinze jours de répétition, après deux week-ends consacrés aux ateliers. Les personnes âgées ont bénéficié d'un temps adapté (des sessions de deux heures maximum, leur présence étant requise un jour sur trois...). À leurs côtés, on retrouve un musicien rencontré en Chine, XiaoHe, qui pratique autant la musique expérimentale que les berceuses ainsi que le chorégraphe Mickaël Phelippeau. Ils poursuivront ce qui est la trame de cette création donnée deux soirs : la fragilité.
La Nuit du cœur
Du 6 au 7 mai au TNP (Villeurbanne) ; 7 €