Deux pour le prix d'un / L'auteur de Cure revient avec deux thrillers teintés d'épouvante qui dressent en filigrane le portrait peu flatteur et sans concession d'une société japonaise contemporaine repliée sur ses obsessions.
Absent des écrans français depuis quatre ans (Les Amants sacrifiés), Kiyoshi Kurosawa effectue un retour remarqué en 2025. En attendant son auto-remake du Chemin du serpent, attendu pour cet été, il signe à une semaine d'intervalle, deux films actuels, acides, inquiétants et inspirés. Le moyen-métrage Chime et son nouveau long Cloud constituent deux des propositions les plus excitantes de cette fin de printemps.
Adjugé, vendu !
Dans Cloud, il suit la vie de Ryosuke Yoshii, un jeune homme qui subvient à ses besoins en revendant divers articles sur internet. Tandis que le protagoniste sombre peu à peu dans une machination mortelle, le cinéaste élabore un suspense glacial et insaisissable. Durant sa première partie, la peur se résume aux interactions entre l'antihéros et son écran d'ordinateur. Kurosawa s'inscrit dans les pas de David Fincher (The Social network) et Michael Mann (Hacker) dans la peinture d'un mal numérique abstrait et trompeur. Le danger, pourtant bien présent, demeure hors champ, la patience du spectateur est sciemment éprouvée. La brutale rupture de ton n'en sera que plus surprenante et inattendue. Il laisse le réel, et son cortège de violence, reprendre brusquement ses droits. Le long-métrage revisite dès lors en alternance des sous-genres primitifs : home invasion, survival et récit de vengeance.
L'argent roi, les petites combines, la solitude, l'obsession maladive de la réussite, sont autant de motifs qui parcourent le film et dévoilent une facette dissimulée de la société japonaise. La rigueur et la froideur formelle que le réalisateur insuffle, reflets de la déshumanisation à l'œuvre, engendrent un malaise palpable. Kurosawa fait du capitalisme le véritable monstre larvé dans chacun des rapports entre les personnages. Une simple touche de chaos dans leur quotidien balisé suffit à dévoiler leur vrai visage.
Cauchemar en cuisine
D'horreur (encore plus graphique celle-là), il en est également question dans Chime. Un étudiant en école de cuisine affirme entendre un son dans sa tête qui le pousserait à commettre des actes violents. Un point de départ intrigant, pour un film ancré dans un environnement urbain anxiogène. Le thriller flirte avec le film de possession tout en reposant sur une économie d'effets. L'exercice brillant dessine en creux un autoportrait déguisé. Le chef Matsuoka, fasciné par les plats français qu'il reproduit, peut ironiquement se voir comme le double de Kiyoshi Kurosawa, lui-même attiré par le cinéma hexagonal, quitte à perdre son identité. Un professionnel rigoureux confronté à un mal insidieux capté à la faveur d'une mise en scène virtuose, ne nous laissant aucun répit, durée resserrée oblige. Le réalisateur offre même quelques images traumatisantes, renvoyant à ses débuts au sein de la J-Horror, dialoguant ainsi simultanément avec son œuvre passée et présente.
Chime
De Kiyoshi Kurosawa (Japon, 45min) avec Mutsuo Yoshioka, Seiichi Kohinata, Tomoko Tabata...
En salle le 28 mai 2025.
Cloud
De Kiyoshi Kurosawa (Japon, 2h03) avec Masaki Suda, Kotone Furukawa, Daiken Okudaira...
En salles le 4 juin 2025.