Biennale de la danse / Tiago Guedes est directeur artistique de la Biennale de la danse et directeur de la Maison de la danse. Il a révélé sa première programmation solo de la Biennale le 13 mai dernier, qu'il place sous le signe de l'interdisciplinarité et de la convivialité.
Le Petit Bulletin : Quel regard portiez-vous sur la Biennale de la danse avant votre prise de poste ?
Tiago Guedes : Je dirigeais le théâtre de la ville de Porto. J'ai une formation de danseur et de chorégraphe, je venais souvent à la Biennale pour découvrir des spectacles. Peu de villes sont aussi riches que Lyon, c'est l'une des premières villes d'Europe à avoir accueilli un théâtre dédié à la danse, et aujourd'hui à avoir pensé ses nécessaires espaces de création, ainsi qu'à jouir d'un événement dédié à la discipline d'une telle ampleur. Cette trilogie Maison de la danse – espaces de recherche et de création – Biennale de la danse est unique au monde.
Quand j'ai appris ma nomination, je savais déjà qu'il y allait y avoir beaucoup de travail autour de la Maison de la danse et de la Biennale. On doit rendre hommage à ces institutions majeures, mais on doit aussi les repenser, les ouvrir, au-delà des seuls spectacles.
LPB : Déjà, lors de la précédente édition de la Biennale de la danse, on sentait effectivement chez vous une envie de décloisonner les disciplines. Avez-vous l'impression d'avoir encore intensifié cette dynamique cette année ?
TG : On a trop entendu que la danse se rencontrait seulement dans les théâtres, que c'était un loisir bourgeois. Je défends et je montre exactement le contraire : s'il y a bien une discipline populaire, c'est la danse. Tout le monde danse !
Côté pratiques amateures, en 2023, les anciennes Usines Fagor avaient accueilli ces espaces de liberté, on y trouvait beaucoup de jeunes. Cette année, il y aura une journée aux Grandes Locos mais aussi le Club Bingo, treize soirées festives qu'on a mises en place avec nos partenaires lyonnais, dans toute la métropole.
La marque qui a fait mon identité, c'est la connexion : celle des esthétiques, des publics et de la danse avec d'autres disciplines, ainsi que la partie conviviale. Cela s'exprime – entre autres – par le "groupe libre" du défilé, placé sous la direction du chorégraphe brésilien Diego Dantas, directeur du Centre chorégraphique de Rio de Janeiro. Il emmènera tout le public sur un dancefloor mené par Mehdi Kerkouche, place Bellecour. On compte aussi des spectacles participatifs, où le public sera invité, d'une manière ou d'une autre, à interagir avec les danseuses et danseurs.
Je n'oublie pas toutes les autres façons d'être en contact avec la danse de façon théorique, réflexive. La danse est soutenue en France et dans d'autres pays d'Europe centrale. Nous allons réfléchir à la danse dans les pays plus contraints, notamment grâce au Forum et à la venue d'artistes issus de cinq continents différents. On doit continuer à penser un programme très capillaire, qui propose des expériences variées, pour toucher le plus de personnes possibles. C'est capital, dans une période aussi délicate pour l'art et la création.
LPB : Le répertoire classique, la technique classique, est absent de cette programmation.
TG : C'est une Biennale de création contemporaine. Il ne faut pas oublier qu'on a aussi une saison à la Maison de la danse : on y présente de la technique classique. La Biennale est un espace dédié aux techniques transformées, réinventées par les artistes contemporains. Quand on présente un spectacle d'un artiste comme William Forsythe, on présente du vocabulaire classique, mais complètement transfiguré.
LPB : Quelles étaient les valeurs cardinales de vos choix programmatiques cette année ?
TG : Être ensemble, notamment au cœur de nouvelles dynamiques, de nouveaux partenariats. Je pense à la saison croisée France-Brésil. C'est aussi un clin d'œil aux trente ans de la Biennale de danse consacrée au Brésil : huit spectacles célébreront la vitalité de la danse brésilienne.
Il y a aussi le partenariat avec le Centre Pompidou qui nous a permis de penser un travail pluridisciplinaire avec trois artistes : Eszter Salamon, Gisèle Vienne et Dorothée Munyaneza. Eszter Salamon proposera une installation d'art contemporain à la Cité de la gastronomie, par exemple. Le croisement entre la danse et les arts visuels est une évidence, surtout pour la Biennale. On pourra aussi le constater avec le spectacle de Miet Warlop ou celui de Clarice Lima.
Finalement, il y a aussi le partenariat avec le Festival d'automne, autour du centenaire de la mort du compositeur et chef d'orchestre Pierre Boulez. Si on n'avait pas eu ces trois partenariats, il aurait fallu prendre des décisions difficiles en termes de programmation. La contrainte économique (l'inflation, la hausse des coûts...) est devenue la force de la Biennale, on a fait beaucoup plus de partenariats. On est passés de 49 à 40 spectacles, mais ceux-ci sont beaucoup plus variés dans leurs formes et s'adressent à un public plus large.
LPB : Dans l'édito de cette édition, vous questionnez : « que peut encore la danse dans un monde en crise ? » sans y apporter de réponse.
TG : Ce sont les artistes qui peuvent nous apporter des réponses avec leurs projets, leurs récits. Le Forum permet aussi de se placer dans la continuité de ces questions sociétales. On écoutera par exemple Devynn Emory, une chorégraphe qui est aussi infirmière aux États-Unis ; son travail de chorégraphie s'articule autour du soin, elle le connaît et le pratique au quotidien.
De même, la plupart des spectacles gravitent autour de questionnements de société très forts. Je pense par exemple à Repertorio n.2 de David Ponyes et Wallace Ferreira qui questionnent la survie avec une danse ritualisée, rappelant que le mouvement peut être résistance.
LPB : Vous dirigez aussi la Maison de la danse et les futurs Ateliers de la danse. Vous souhaitiez que les trois entités soient plus identifiées comme partageant un socle commun. Considérez-vous que ce soit chose faite ?
TG : Elle est encore en train de se faire, notamment grâce à nos neuf artistes associés. Avec la Biennale, ils créent, avec la Maison de la danse, ils diffusent. Ils restent avec la Maison de la danse pendant deux saisons, et ça se termine par la Biennale. Ils sont de générations différentes, certains vont plus dans les territoires, quand d'autres préparent des spectacles pour les grands plateaux. On ne va pas tarder à penser un deuxième cycle, sans doute avec moins d'artistes. Ce diptyque auquel va s'ajouter les Ateliers de la danse permet de dépasser la seule présentation d'un spectacle par un ou une artiste. On leur donne des cartes blanches, chez nous on les appelle "cosmologies", où ils programment d'autres artistes, des rencontres artistiques qui débordent ce qu'on aurait pu envisager seuls.
Les Ateliers de la danse vont s'inscrire dans cette dynamique, et permettre aux artistes d'avoir un lieu où créer plus librement et plus longuement, c'est vraiment un manque exprimé par tous. Comme ce sera un lieu uniquement dédié à la création, le budget de fonctionnement sera très différent de celui d'un lieu de diffusion, qui a des recettes de billetterie. On est en train de construire ce budget de fonctionnement qui reposera notamment sur la Maison de la danse, la Ville, la Métropole, l'État et des partenaires privés.
C'est une prise de risque dans cette période difficile, mais c'est aussi un beau signal pour la création de dédier un espace au seul art chorégraphique. On espère que celui-ci sera délivré au printemps 2027.
Biennale de la danse Lyon 2025
Du 6 au 28 septembre 2025 (dans toute la métropole de Lyon) et en région jusqu'au 17 octobre 2025 ; prix variables