Un rat dans la soupe

Après l'été et avant la rentrée, quelques réflexions sur l'état du cinéma populaire, guidées par Rémy, le rat génial de «Ratatouille». CC


Le film de l'été, on l'a dit avant de se tirer en vacances, c'est l'incroyable Ratatouille de Brad Bird. On se réjouit d'ailleurs de voir le public d'accord avec nous, puisque le film a finalement semé derrière lui tous les autres blockbusters de la saison. Sauf que, si ce même public avait été cohérent avec ses choix, il aurait envoyé valdinguer avec beaucoup plus de force ces fameux blockbusters, appliquant à la lettre la «morale» de Ratatouille : la tradition, c'est l'innovation ; la nouveauté, c'est la capacité à ressusciter la mémoire purement affective pour créer de l'inédit et de l'émotion. Moderne madeleine de Proust, la ratatouille confectionnée par le rat Rémy est une déclaration esthétique, éthique et philosophique de la part de Brad Bird. En trois films, il n'est pas devenu l'ouvrier modèle des studios Pixar, mais un véritable auteur aux thématiques singulières, un digne descendant des trublions d'Hollywood que sont Joe Dante ou John Landis. Ford mustangDu coup, comme semblait dérisoire la résurrection nostalgique et régressive des robots belliqueux de chez Hasbro par le plus grand vendeur d'aspirine de la planète (Michael Bay et son Transformers), ou la tentative de regonflage pectoral d'un Bruce Willis ne trouvant rien de mieux à faire pour son quatrième Die Hard que d'appeler le réalisateur d'Underworld, Len Wiseman, en remplacement de l'immense John MacTiernan ! Dans la litanie de suites de cet été au parfum de déjà-vu (Harry Potter, Les Quatre fantastiques, Shrek, Ocean's 13...), Brad Bird et son rat ludique (n'est-ce pas lui qui pilote, comme n'importe quel joueur de Playstation, son comparse humain empoté ?) ont rappelé à ceux qui voulaient l'entendre que la vraie maxime cinéphile n'est pas «chacun ses goûts», mais «certains ont du goût, d'autres pas». Ce n'est pas nous qui l'avons dit, mais on signe quand vous voulez en bas de la page. Il se trouve que l'événement de la rentrée à Lyon est une rétrospective John Ford organisée par l'Institut Lumière. Cas unique de cinéaste archi-populaire de son vivant qui, par la seule grâce du passage du temps, qui transforme les films en «vieux films», avec tout ce que ça a de péjoratif, se retrouve aujourd'hui au panthéon des «auteurs» du cinéma. Il faudra, tout au long de cet hommage monstre (Ford a tourné plus de cent films), trouver la juste distance pour redécouvrir ses films : être capable de voir ce qui, du cinéma commercial hollywoodien de l'époque à celui d'aujourd'hui, a véritablement bougé ; et comment un cinéaste qui s'est toujours vu comme un professionnel de la caméra a pu, sans écrire une ligne de ses films, inventé une forme et un discours qui n'appartiennent qu'à lui. En gros, comment cette contre-culture qu'est le cinéma populaire, quand il n'est pas le produit de trois cents brainstormings conduits par des costards-cravates cyniques et débiles, peut trouver une place de choix dans l'histoire de l'art ?