Souvenirs de la guerre récente

Carlos Liscano / Belfond


Dans Le Fourgon des fous, son précédent roman traduit en français, Carlos Liscano témoignait de ses treize années de captivité dans le pénitencier de Libertad (!) pour avoir appartenu à un groupe de guérilla urbaine opposé à la dictature uruguayenne. C'est pendant cette interminable période de claustration et de souffrance que naît l'urgence d'écrire et qu'il commence à rédiger le roman qui paraît aujourd'hui chez Belfond sous le titre Souvenirs de la guerre récente. Placé sous l'influence assumée de Kafka et surtout du Désert des Tartares de Dino Buzzati, cette fable cruelle donne à voir un autre genre d'enfermement et d'aliénation. Le narrateur de ce roman est, comme Liscano en son temps, cueilli dans sa maison par une patrouille militaire. Il est ensuite conduit dans une caserne, où débute un entraînement militaire censé le préparer à une guerre imminente. Mais les années passent et aucun conflit ne survient : pendant dix-sept ans, les hommes mobilisés tentent de trouver un sens à leur vie, entre concours de potager et de propreté, pause-café sans café et autres jours fériés (à l'occasion du changement d'uniforme). Écrit dans une prose minimaliste aux confins de l'absurde, ce récit est certes une charge violente contre les ravages du totalitarisme, la destruction de l'identité et l'anéantissement de la liberté individuelle. Mais en mettant en scène un personnage qui trouve dans cette aliénation une possibilité d'accomplissement, Liscano nuance son propos et montre aussi la docilité de l'homme, sa propension à s'épanouir dans la négation même de son humanité. YN


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