Angel

François Ozon renoue avec la veine de 8 femmes dans ce mélodrame en anglais qui ne craint ni les clichés, ni les excès, mais n'évite pas une ironie assez destructrice. Christophe Chabert


S'il y a une chose qu'on ne peut pas reprocher à François Ozon, c'est d'exploiter un filon. Chacun de ses films semble répondre à des impératifs personnels, une volonté d'expérimenter au détriment d'une fidélité à un style ou à un propos. En fait, Ozon est un peu notre Soderbergh... Alors, si Angel rappelle par son jeu sur les codes 8 femmes, et si son sujet n'est pas sans échos avec celui de Swimming Pool, il reste une curiosité dans son œuvre et traduit un désir d'aller de l'avant. Adapté d'un roman d'Elizabeth Taylor, Angel montre comment une jeune fille prolotte vivant au-dessus de l'épicerie maternelle rêve de devenir une écrivain à succès. Première surprise : elle le devient très vite, sans réelle difficulté. Les portes de la gloire s'ouvrent, matérialisées par les grilles de Paradise, grande demeure aristocratique qui la faisait rêver et qu'elle rachète une fois ses romans fleur-bleue transformés en best-sellers. Pendant la première heure du film, Ozon adopte vis-à-vis du récit une attitude déroutante : il redouble l'incroyable (au sens propre du mot) destin d'Angel par une mise en scène complètement artificielle, une musique dégoulinante de violonades et des transparences ringardes et assumées comme tel. Pareil pour la prestation expressionniste et grandiloquente de Romola Garai, rendant le personnage plus exécrable qu'attachant.

Un ange passe...

Angel est-elle une idiote mythomane et capricieuse ou sommes-nous seulement prisonniers de son imagination fantasque et de ses rêves cuculs de jeune fille immature ? Est-elle l'incarnation métaphorique d'une dérive commerciale et opportuniste du cinéma français dans lequel Ozon ne se reconnaît pas ? Le doute persiste longuement, sans que le film en tire véritablement profit. Car Ozon, qui aimerait retrouver le panache des grands mélodrames de Sirk et Minnelli, est beaucoup trop cynique pour assumer avec sincérité les clichés du genre. Les codes, il ne peut s'empêcher de les parodier, d'ironiser sur les situations et sur les personnages. Seule Charlotte Rampling, discrète figure au sein du récit, porte sur cette aventure le regard lucide et désenchanté que le cinéaste est incapable d'adopter. Car pourquoi prendre autant de temps et d'énergie pour entrer dans un monde envers lequel il n'éprouve que mépris et distance ? La deuxième partie du film, plus intéressante, apporte une réponse tardive : le retour à la réalité est cruel pour Angel, et Ozon s'avère plus à l'aise, moins sarcastique, quand il s'agit de peindre le drame de son héroïne plutôt que sa félicité. Mais ce salutaire changement de ton ne gomme pas complètement la sensation mitigée que procure Angel : celle d'un film ambitieux signé par un cinéaste qui rêve de viser haut, mais qui se dérobe constamment derrière un assez lâche deuxième degré.

Angel
de François Ozon (Fr-Ang-Belg, 2h14) avec Romola Garai, Sam Neill, Charlotte Rampling...


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William Karel