«Artisans du cinéma»

Entretien / Dans quelques jours, le Comœdia, célèbre cinéma de l'avenue Berthelot, ouvrira de nouveau ses portes au public. Marc Bonny, son directeur, revient sur cette aventure, en compagnie du programmateur du Comœdia, Ronan Frémondière. Propos recueillis par Dorotée Aznar et Christophe Chabert


Avez-vous une date précise à donner pour l'ouverture du Comœdia ?Marc Bonny et Ronan Frémondière : Pour le cinéma, l'ouverture se fera le 15 novembre, c'est sûr. Le bar ouvrira le 18 et le restaurant le 25. Au départ, l'architecte nous avait parlé de six mois de travaux. En fait, il aura fallu un an, jour pour jour.Qui subventionne votre cinéma ?Le Centre National de la Cinématographie nous soutient. L'autre source de financement public est la Région Rhône-Alpes. La Ville de Lyon vous a-t-elle soutenu financièrement dans cette entreprise ?Non, absolument pas.L'avez-vous sollicitée ?En fait, on connaissait déjà la réponse. Dans sa politique culturelle, la Ville de Lyon n'a pas de ligne budgétaire de soutien au cinéma. À Paris, il y a une mission cinéma, rattachée directement au maire. Quand une salle historique entreprend des travaux, elle touche des subventions de la Ville. À Lyon, cela n'existe pas... Beaucoup de salles de cinéma ont disparu, le Comœdia avait fermé et il allait également disparaître.On se souvient pourtant d'une conférence de presse, il y a deux ans, en présence de l'adjoint à la Culture où la Ville de Lyon vous avait assuré de son soutien...Effectivement, il y a un soutien moral fort ! Tout le monde était très content que quelqu'un se lance dans la reprise et dans la réhabilitation du Comœdia, mais il n'y a pas de financement de la Ville ou du Grand Lyon. Il y a une volonté politique d'implanter des multiplexes à Lyon et dans le Grand Lyon, à part cela, il n'y a pas de volonté politique sur le cinéma, pas que je sache en tout cas...Une rumeur laisse entendre que vous n'avez pas forcément été bien accueillis par les autres salles, vrai ou faux ?C'est une rumeur. Nous sommes nouveaux à Lyon. Je connais les exploitants parce que je suis distributeur par ailleurs, j'ai été responsable de la Fox pendant 6 ans à Lyon et je dirige Gebeka Films ; j'ai été exploitant de salles ailleurs, mais jamais ici. Au cours des travaux, avez-vous renoncé à certains de vos projets ?La boutique DVD, où nous avons décidé de créer un espace rencontre. Je me suis dit qu'avec un café, un restaurant et une boutique, il n'y aurait plus que des espaces marchands. Je ne sais pas encore ce que nous allons faire de cet espace, peut-être un lieu pour des petites expositions, un centre de documentation... Je veux attendre que le public et les gens qui travaillent au Comœdia nous donnent leurs idées.Vous arrivez à un moment étrange pour le cinéma à Lyon. On note une certaine «parisianisation», l'impression que le cinéma à Lyon intra muros est en train de devenir haut de gamme tandis que les multiplexes à la périphérie seraient destinés à un public plus populaire. Êtes-vous d'accord avec cette vision des choses ?Il faut faire une distinction entre les groupes et les cinémas indépendants. En France, deux grands groupes se partagent l'essentiel des marchés juteux. Ensuite, il y a les cinémas indépendants comme l'Ambiance ou le CNP. Les indépendants n'ont pas su se renouveler, ils n'ont pas trouvé les moyens de changer leurs exploitations qui datent des années 70. Ensuite, pour ce qui est de mon avis sur le débat «cinéma populaire et bobos»...En disant «haut de gamme», nous parlons de prix (plus de 9 euros la place) et d'une programmation qui va vers de plus en plus de versions originales.Jusqu'à maintenant à Lyon, il y avait Ciné Cité qui était V.F et V.O et qui depuis six mois ne passe pratiquement plus que des V.O En même temps, ce n'est pas tout à fait vrai, il sort aussi Les Bronzés 3. Disons qu'ils ont une programmation V.O mais pas forcément art et essai. Ciné Cité veut une offre la plus large possible pour satisfaire les détenteurs de cartes illimitées. Quel est votre positionnement ?Sur les prix, nous allons tenter de proposer le meilleur rapport qualité-prix possible, compte tenu des investissements. Notre place plein tarif sera bien moins chère que dans un multiplexe (7,50 euros) alors que la qualité des salles n'aura rien à envier ni à Pathé, ni à Ciné Cité ; c'est le même matériel. Ce qui plombe les cinémas indépendants face aux groupes, c'est que les conditions sont inférieures. Beaucoup de gens ont arrêté d'aller au CNP parce qu'ils en ont marre de voir un film sur un petit écran, de ne pas voir les sous-titres parce que la tête du voisin de devant gêne. Les exigences du public augmentent. Quand on a un écran géant à la maison avec du son numérique, et que c'est moins bien au cinéma à 8€ la place, franchement il y a problème. C'est notre pari économique, les conditions du multiplexe à un prix inférieur. On verra si cela fonctionne.Et en termes de programmation ?Ça ne nous intéresse pas de passer n'importe quel film en V.O. Notre projet de départ n'a pas changé. Le Comœdia est positionné sur les films d'auteur au sens très large. Cela ne veut pas dire que ce sont des films qui ne font pas d'entrées, voyez le Eastwood par exemple ! Donc nous pratiquerons les V.O, sauf exception pour les films destinés aux enfants ou à un public familial. Nos trois axes principaux sont donc les films d'auteurs au sens large, la programmation jeune public et les événements type festivals. Nous aurons des films qui ont un potentiel commercial, d'autres qui en ont moins, et d'autres encore qui n'en ont pas du tout. Le but d'un lieu comme le Comœdia ce n'est pas la recherche du profit mais d'atteindre un équilibre économique.Face aux pressions des distributeurs, comment faire pour résister et trouver un équilibre entre ce que l'on a envie de programmer et les décisions qui viennent de plus haut ?Il y a le monde idéal et la réalité ; nous serons entre les deux. Vous voulez garder un côté artisanal ?Oui, ça nous va bien !


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