The road to Guantanamo

L'odyssée de trois jeunes anglo-pakistanais ordinaires, soudain promus au rang d'ennemis publics et reclus dans les poulaillers humains de l'US Army. Nikita Malliarakis


Avec cette fiction documentaire produite par la chaîne de télévision britannique Channel Four, Michael Winterbottom signe sans en avoir l'air un authentique brûlot. Les auteurs se sont penchés sur l'histoire des "trois de Tipton", dont le sort a passionné les médias britanniques, pour en tirer une parabole dépassant la géopolitique. Donnant la parole aux trois véritables protagonistes de l'histoire et illustrant leur récit via des scènes jouées par des comédiens, Winterbottom et Mat Whitecross (les réalisateur des interviews) ont évité l'écueil de la reconstitution figée et ressuscité le "cinéma-vérité", sans tomber dans la propagande, ni prétendre au savoir absolu. En septembre 2001, quatre jeunes britanniques d'origine pakistanaise, Ruhel, Shafiq, Asif et Monir, quittent la ville de Tipton et partent pour le Pakistan préparer le mariage de l'un d'eux avec une fille du village. Peu avant l'attaque contre l'Afghanistan, les jeunes gens diront avoir suivi l'appel d'un Imam à apporter une aide humanitaire. Mais, égarés sur place, les amis connaissent un triste sort : Monir disparaît et ses trois amis sont capturés, puis remis aux Américains comme "combattants étrangers" alliés des Talibans. Des années d'horreurs et d'humiliations au camp américain de Guantanamo Bay attendent Ruhel, Asif et Shafiq, qui ne regagneront l'Angleterre qu'en mars 2004.Les dommages collatéraux se rebiffent
The Road to Guantanamo doit être loué pour l'intelligence avec laquelle ses auteurs évitent tout prêchi-prêcha : si le point de vue des trois de Tipton occupe la totalité du récit, les scènes reconstituées évitent d'enfoncer le clou en n'illustrant pas les zones d'ombre de leur histoire, laissant au spectateur le soin de déterminer si les garçons étaient ou non partis pour préparer un mariage et si leur départ pour l'Afghanistan était bel et bien humanitaire. La naïveté des trois jeunes gens saute néanmoins aux yeux, qu'ils aient été pions embrigadés ou plus vraisemblablement victimes collatérales d'un conflit les dépassant. Le réalisme de la mise en scène, dépouillée sans être fruste, permet au film d'aller au-delà de la reconstitution documentaire et renvoie bien des productions télévisuelles du même genre à leur triste patine. On sent la sueur et le sang, l'angoisse des humiliations continuelles dans les prisons de l'Empire du Bien. The Road to Guantanamo dépeint l'injustice dans toute sa mécanique kafkaïenne. Sans être un pamphlet contre les Etats-Unis, le film illustre avec brutalité l'abominable logique des conflits broyeurs de vies, et, au-delà de tout a priori sur les protagonistes, laisse le spectateur frémissant de dégoût. The Road to Guantanamo
de Michael Winterbottom et Mat Whitecross (GB, 1h35) avec Riz Ahmed, Farhad Harun, Arfan Usman....


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JUAN TRIP