Nelson Freire

Concertos pour piano de Brahms Decca / Universal (2 CD)


Plus classique, tu pleures. À refuser les audaces d'un Liszt ou d'un Wagner, Brahms s'est souvent retrouvé relégué au rayon des conservateurs. Rien de tel que ces deux concertos pour rendre au César autrichien sa splendide décadence. Car le piano n'est pas ici un instrument qui trône devant l'orchestre en attendant que le pianiste fasse son intéressant. C'est un véritable orchestre au cœur de l'orchestre, qui participe d'un même tourbillon symphonique. Puissante et aérienne comme le vent, se mouvant en spirales, capable de fougue comme de caresse, la musique de Brahms éclate toutes les formes pour s'abandonner au mouvement. Le deuxième concerto fait figure en ce sens de tube enfiévré. Musique historique parce qu'elle raconte à elle toute seule la Vienne du XIXe siècle, dansante et impulsive comme une valse dégénérée, avec un deuxième mouvement aux accents slaves irrépressibles. Musique historique aussi parce qu'elle raconte en permanence une histoire, nous laissant imaginer le film qu'elle aurait pu devenir si seulement le cinéma avait exister. Avec un naturel insaisissable, Nelson Freire surfe sur les eaux mouvantes de Brahms en ménageant surprises et contrastes, passant d'une majesté jamais grandiloquente à l'hypersensibilité la plus ténue. Les arpèges qu'il égrène sur l'andante du deuxième concerto semblable au plus bel adagio de Mahler, pendant que quelques bois de l'orchestre de Riccardo Chailly dessine une aube nouvelle, pourraient tenir lieu d'esquisse crédible à toute éternité. Pas d'âge, plus de temps, deux ou trois notes d'une musique sublime. Il ne manquerait plus qu'on croie en Dieu. LH


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