Enfermés dehors

Troisième film d'Albert Dupontel après Bernie et Le Créateur, Enfermés dehors vient enfin porter un sévère coup de tatane à la comédie française à la pépère. Subersif et salutaire. François Cau et Luc Hernandez


"Il était une fois quelque part". Après ces quelques mots dactylographiés sur l'écran noir démarre un plan absolument dantesque, dont Albert Dupontel aime apparemment évoquer la confection, de discrètes étincelles dans les yeux. La caméra juxtapose les perspectives avant de plonger littéralement au cœur d'un terrain vague ; un SDF furibard, shooté à la colle, saute dans tous les sens avant de s'emplâtrer dans un mur. Et le fil narratif de se dérouler dans le chaos ainsi introduit : notre paumé trouve l'uniforme d'un CRS suicidé avec le sourire (le flic s'est noyé en se pendant à un pont !), et entreprend de vérifier que l'habit fait bien le moine. Résultat : un flic qui va faire le clown en se payant la tête des puissants. Entre deux gadins homériques, il tombera amoureux d'une ancienne actrice de "films d'auteur un petit peu naturistes", tentera de retrouver son gamin, traumatisera un banquier, transformera un squat en commissariat de police... Et le réalisateur de donner violemment de sa personne, transformé en punching-ball humain, à la merci d'une histoire autorisant toutes les dérives formelles chères au créateur.Antisocial, tu perds ton sang-froidAutant évacuer tout de suite les bémols, tant le plaisir de retrouver un Dupontel hystérique derrière et devant sa caméra nous aura tout de même comblé. La narration est moins millimétrée, souffre de coupes apparentes et d'un discours un rien appuyé. Mais comme le déclare le cinéaste, après tout, nous sommes dans une fable. Légèrement dégénérée, certes, mais une fable tout de même. Dont acte. D'aucuns l'accuseront de trahison, de revirement à la Tim Burton, de lorgnage trop ostensible sur les standards US, ou de je ne sais quel autre procès d'intention. On retiendra de notre côté le plaisir cinématographique brut, le rire dévastateur (God Bless Yolande Moreau) et la naïveté désarmante procurés par un cinéaste se donnant les moyens bordéliques de son ambition, avec une énergie et une sincérité jamais démenties. Car l'air de rien, cette comédie subversive vaut aussi pour le paysage qu'elle nous renvoie en éclats de rire dans la tronche : celui des pauvres, des affamés, des squats, des mauvais parents et de la bêtise sécuritaire, toute cette réalité bien sociale qu'on ne risque pas de trouver dans la doublure du costard d'un Christian Clavier. Enfermés dehors, c'est un peu comme si Gaspard Noé (Seul contre tous ou Irréversible, d'ailleurs avec Dupontel) avait eu la santé de tourner une farce. Un curieux mélange d'humour gore et gaga et de comédie romantique (les beaux yeux de Claude Perron, la complice de toujours, obligent). Pour toutes ces raisons, et en dépit de leurs défauts apparents, les Enfermés Dehors méritent plus de spectateurs que les funestes troisièmes Bronzés.Enfermés Dehorsde et avec Albert Dupontel (Fr, 1h28) avec Claude Perron, Nicolas Marie, Terry Gilliam, Terry Jones…Détails du tournage sur www.albertdupontel.com/enfermes/enfermes.html


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