Lady Vengeance

Après "Old Boy", Park Chan Wook va un cran plus loin avec un film radical, où les élans formels se mettent au service d'une discutable morale qui oblige à poser la question : peut-on faire un divertissement sur la peine de mort ? Christophe Chabert


Comme beaucoup de cinéastes sud-coréens, les spectateurs français ont pris la carrière de Park Chan Wook en cours de route. Et encore : si JSA, le film qui l'a révélé, n'a pas eu l'honneur d'une sortie en salles. Cet excellent thriller politique construit en un subtil triptyque avec alternance des points de vue révélait un cinéaste aussi brillant scénariste que metteur en scène. Sympathy for Mister Vengeance, véritable électrochoc, semblait amplifier ce sentiment : très stylisé mais aussi d'une grande puissance politique, le film a connu rapidement une petite aura culte par sa violence froide et abrupte. Avec Old Boy, Grand Prix au festival de Cannes, son cinéma trouvait un aboutissement éclatant : perfection de la forme, foisonnement narratif, éblouissante composition de l'acteur Choi Min Sik et traitement dérangeant de sujets délicats. Park Chan Wook passait alors pour un super auteur d'un cinéma de genre audacieux, visuellement novateur mais pas affranchi d'un véritable discours.Sympathique mise à mortLady Vengeance oblige à rebattre les cartes. Une jeune femme mi-ange, mi-démon, sort de prison après 13 ans d'enfermement. Au fil des visites à ses anciennes camarades de cellule, le cinéaste dévoile le passé et le projet à venir de son héroïne, tous deux tendus vers une seule idée : faire régner une justice très personnelle qui lui permettra de connaître la rédemption. Ce patchwork narratif, où défile une dizaine de saynètes d'un humour très noir, est surtout prétexte à démonstration des inventions formelles de l'auteur. C'est parfois confus, souvent brillant, mais on se demande où il veut en venir... Quand il entre enfin dans le vif du sujet, la vengeance annoncée par le titre prend un goût amer. Car cette Lady-là se fait alors le porte-parole d'un tribunal populaire qui va juger à l'aune de sa douleur intime le châtiment à infliger à un bourreau d'enfants. Commence alors une interminable séquence de mise à mort où le talent de Park Chan Wook se paye sur le dos de la bête : les gags sont à double tranchant, la virtuosité de la mise en scène passe par perte et fracas toute distanciation vis-à-vis des enjeux qu'elle soulève. S'il s'agit de démontrer que la sauvagerie peut apparaître chez un citoyen ordinaire et éploré, on bordure le truisme cinématographique ; si l'objectif est de prouver que la vengeance n'est pas forcément libératrice, c'est déjà plus intéressant, mais il faudra attendre les cinq dernières minutes pour que ce propos-là prenne un peu de corps. Par contre, s'il s'agit juste de bien s'amuser à coups d'images chocs pour assurer les montées d'adrénaline, Park Chan Wook n'est pas loin de la réussite totale (ou de la sortie de route complète). Grisé par son talent ou enfin libre de montrer son vrai visage (un petit maître du malsain rigolard) ? Et si on revoyait M le maudit, plutôt...Lady Vengeancede Park Chan Wook (Corée du Sud, 1h55)


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