Asiles de fous

RÉGIS JAUFFRET (Gallimard)


Asiles de fous débute par le témoignage de Gisèle, désespérée par le départ de son compagnon. Une banale histoire de rupture amoureuse, croit-on alors. Les choses se décalent d'emblée avec l'apparition du monologue absurde du beau-père venu annoncer à sa bru la décision de son fils. Elles se compliquent encore lorsque Solange, belle-mère odieuse, prend la parole afin d'évoquer celle qui risquait de déshonorer la famille et trouvent leur paroxysme dans le soliloque halluciné de Damien, le mari en fuite. Une polyphonie qui prend finalement des allures de cacophonie puisque aucune de ces voix ne semble s'accorder sur les évènements qui se sont déroulés. Régis Jauffret est un illusionniste. Il semble prendre un malin plaisir à mettre en place des fictions romanesques qui ne sont en fait que des trompe-l'œil. Il dissimule, manipule, multiplie les angles de vue, efface les frontières entre le réalisme et la folie, l'identité et la schizophrénie. Sa chronique cruelle et cynique de l'univers familial acquière par ce jeu narratif une dimension passionnante qui pose une fois de plus la question sans cesse remise en jeu dans son œuvre : dans quelles mesures les mots sont-ils aptes à rendre compte de la complexité des sentiments humains ? Malgré une prose foisonnante, frénétique, qui tente de suivre au plus près les différents courants de conscience qui traversent chacun des personnages, la question reste en suspens, et ce jusqu'à la dernière phrase du livre, qui sonne comme un ultime renversement. Mais chut !YN


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