PTU

Sortie tardive mais largement méritée pour cet opus majeur de Johnny To, un polar noir et quasi-abstrait sis dans une Hong-Kong fantômatique, refusant de céder aux clichés du genre tout en les sublimant. François Cau


Les films de Johnny To se suivent et ne se ressemblent pas. Normal : le réalisateur représente, via sa société de production Milkyway, l'un des derniers bastions d'une industrie cinématographique hong-kongaise à l'agonie. Dans ce marasme, Johnny To produit, écrit et tourne. Beaucoup, quatre films par an en moyenne. Un vrai casse-tête pour lui coller une étiquette, notre homme enchaînant les polars, les comédies, les mélos, les films d'action, les films sportifs ou les œuvres inclassables (ruez-vous sur le DVD de Running on Karma sorti il y a peu). Mais le domaine où le cinéaste excelle, c'est bien évidemment le polar, que notre homme a traité sous des angles systématiquement inattendus. Ludique (Fulltime Killer), commercial (Breaking News), comico-mélancolique (Running out of Time), languide (The Mission), chaque nouvelle incursion de Johnny To dans le genre se situe quasiment à l'opposé de la précédente. Avec PTU, le réalisateur livre, disons-le, son polar le plus abouti. Si les grandes figures du genre sont belles et bien là (les ripoux et leurs supérieurs intraitables, les yakuzas et les petites frappes), To prend un malin plaisir à les enfermer dans des situations absurdes, dans un jeu virtuose de coïncidences fortuites où l'action la plus anecdotique devient rapidement inextricable. Extérieurs nuitSale soirée pour l'inspecteur Lo. Des punks de bas étage lui ruinent sa bagnole, le tabassent et lui font perdre son flingue, le tout en cinq minutes chrono. Et ce n'est que le début d'une longue nuit marquée par l'incompétence, l'arrogance et l'orgueil déplacé des forces en présence. Soit une variation sur le thème du "tous pourris" cher aux films noirs, allant crescendo jusqu'à une conclusion d'un cynisme absolu. Seulement voilà : pour donner vie à cet instable univers nocturne, Johnny To pousse les expérimentations esquissées dans le stupéfiant The Mission un cran plus loin, en conservant cette fois-ci une linéarité chronologique. Ici, ce ne sont pas tant les temps morts qui font l'objet d'une attention particulière, mais plutôt la précipitation des événements, intervenant avec une irrégularité déstabilisante. Non content de livrer des "scènes d'action" proprement hallucinantes (on n'en dit pas plus...), le réalisateur compose des cadres sublimes, joue avec succès sur les focales et les perspectives pour conférer au film une touche unique. Scandé une nouvelle fois des absurdités musicales du compositeur Raymond Wong (déjà responsable de la musique de The Mission, les connaisseurs "apprécieront"), PTU fait l'effet d'un cauchemar lancinant, gorgé de séquences et d'images mémorables, où chaque personnage tente d'imposer une domination de pacotille, avant de subir les aléas hasardeux d'un scénario moins simpliste qu'il ne voudrait le laisser croire.PTUde Johnny To (HK, 1h27) avec Lam Suet, Simon Yam, Ruby Wong...


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