Autoportrait en vert

MARIE NDIAYE (Mercure de France)


En retrouvant Marie Ndiaye dans la collection du Mercure de France qui se nomme Traits et Portraits, le lecteur habituel de son œuvre se dira peut-être qu'il a l'occasion d'en savoir un peu plus sur cet auteur d'origine sénégalaise à l'univers littéraire si déroutant. Il aura raison. Mais à moitié seulement. Car cet autoportrait, s'il met en scène un certain nombre d'éléments, de personnages réels (la famille, le lieu de vie, le travail d'écriture) et de thèmes largement évoqués dans ses œuvres précédentes (la filiation, l'amitié, le trouble de l'identité), n'en reste pas moins énigmatique et envoûtant. Comme si le fait de se mettre à nu, d'esquisser une représentation de soi à travers l'écriture était déjà la promesse de ne pas procéder "trait pour trait". Marie Ndiaye parvient avec un talent unique à mêler les éléments de normalité et de réalité à leurs pendants occultes, leur portée fantastique, leur signification enfouie. D'une phrase à l'autre, les registres se succèdent, les repères s'évanouissent, les situations se confondent, les personnages se dédoublent. Comme ces nombreuses "femmes en vert ", mi-sorcières mi-fées, qui hantent le roman et l'esprit de l'héroïne, double de l'écrivain : "Elles ornent mes pensées, ma vie souterraine, elles sont là, à la fois êtres réels et figures littéraires sans lesquelles l'âpreté de l'existence me semble racler peau et chair jusqu'à l'os". Cet autoportrait en creux, morcelé et kaléidoscopique, nous conforte au moins sur un point : Marie Ndiaye est réellement un auteur passionnant. YN


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