Mysterious Skin

Gregg Araki, metteur en scène culte des angoisses adolescentes, adapte un roman particulièrement corsé de Scott Heim, et accède à une maturité cinématographique nourrie des obsessions qui firent sa renommée. François Cau


Pour son grand retour sur les écrans (près de quatre ans après la distribution lapidaire de Splendor), Gregg Araki s'essaie à un exercice qui lui est inédit : l'adaptation, a priori très fidèle, de la prose d'un autre. Pour le coup, la gageure est moyennement risquée : Scott Heim semble sevré aux mêmes opiacés littéraires que le cinéaste (Dennis Cooper et Bret Easton Ellis en tête) et joue sur des variations empruntant aux figures récurrentes du cinéma d'Araki (le ménage à trois, le glamour pernicieux d'une sexualité dissolue, sans oublier les aliens). Durablement marqués par l'esthétisation jusqu'au-boutiste du mémorable Nowhere, on attendait Gregg Araki sur le terrain glissant de la surenchère. Quelque part, c'est presque le cas : si Nowhere prenait pour point de départ narratif la recrudescence des suicides adolescents, Mysterious Skin entreprend, avec une pudeur déroutante, d'évoquer la pédophilie et ses impacts. Neil, éveillé à la sexualité par son prof de sport à l'âge de huit ans, est désormais gigolo et fait office de réservoir à fantasmes pour tous ceux qui le croisent. Brian, victime d'un black-out dans sa prime jeunesse, est persuadé d'avoir été enlevé par des extra-terrestres. Le cadre est serein, la province américaine souvent idéalisée pour mieux exposer ses craquelures par la suite. Quand Mysterious Skin aborde son sujet hautement tabou, l'approche se fait nécessairement crue, mais dispense son lot de séquences apaisées, bien évidemment à double tranchant. La lumineuse scène d'ouverture, resituée dans son contexte, prendra à ce titre un sens autrement plus marquant. KidsLes ados sans cause d'Araki, beautés troublantes drainant sans fin leurs vagues à l'âme, ne peuvent ici plus vraiment fuir le monde qui les entoure. Le spleen suicidaire, qui baignait une filmographie faite d'errances trash et sans but, se raccroche ici à des personnages terriblement ancrés dans leur passé. L'un des rares réalisateurs qui a su transfigurer la vacuité roborative de l'esthétique MTV en d'impensables opus nihilistes à l'ironie mordante, canalise à présent ses débordements graphiques. La mise en scène conserve ses tics (ralentis, jump-cuts, prise en compte de la bande-son comme un élément narratif à part entière) mais les utilise avec une justesse confondante ; la direction d'acteurs, du quatuor principal au moindre second rôle, est tout simplement bluffante. Araki parvient non seulement à traiter son sujet avec acuité, mais lui insuffle de plus la puissance d'évocation sensorielle de ses opus précédents. La nonchalance lascive de Neil (incroyable Joseph Gordon-Levitt) résonne en permanence du double écho d'une fascination purement sensuelle et de l'infâme affront subi dans sa jeunesse, dont chaque partenaire sexuel se fera le reflet peu reluisant. Et la confrontation finale entre les deux héros achèvera de faire exploser l'ambiguïté d'un film dont l'émotion retenue n'est pas la moindre des qualités.Mysterious Skinde Greg Araki (EU, 1h39) avec Joseph Gordon-Levitt, Brady Corbet...


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