Aviator

Après le frustrant Gangs of New-York, Martin Scorsese concilie aspirations personnelles et nécessaire entertainment en transformant Howard Hugues en être de passions, dans tous les sens du terme. Flamboyant. Christophe Chabert


Grande nouvelle : Martin Scorsese est toujours là. Les doutes laissés par Gangs of New-York, grande œuvre au souffle contrarié par des vents contraires, se dissipent à la vision d'Aviator. Pourtant, le cinéaste n'en rajoute pas niveau stylisation, loin des excessifs mouvements de caméra et du montage trépidant de ces films les plus célèbres. Il laisse son personnage principal, l'aviateur, producteur et cinéaste Howard Hugues, assumer cette frénésie, et l'acteur qui l'incarne, un Leonardo Di Caprio commuant ses évidentes faiblesses (éternelle jeunesse et manque de présence physique) en forces. Sa performance en petit taureau déterminé dans ses élans comme dans ses névroses, est un parfait raccourci de l'approche scorsesienne. Car, dans cette biographie qui court sur plus de 20 ans, tout est question de passion.L'aviateur et l'obsédéLa passion est ce qui anime Hugues quand il décide de révolutionner l'aviation au cours des années 30. Impossible n'est pas Howard, qui construit des machines novatrices et les pilote pour repousser les limites et battre les records. Dans la première partie d'Aviator, la partie "grand spectacle", Hugues est cet individualiste têtu qui met les pieds dans le plat d'une Amérique trop rigide et corporatiste pour lui. Qu'il produise un long-métrage inflationniste, qu'il s'entiche de Katherine Hepburn (Cate Blanchett, qui choisit un troublant mimétisme avec son modèle) ou qu'il aille s'envoyer en l'air avant de se ramasser dans les blés, le magnat avance comme un chien dans un jeu de quilles, persuadé d'être le meilleur au milieu des médiocres. La scène (hilarante) où il doit composer avec la famille "socialiste" d'Hepburn, offre un beau trait d'union vers la deuxième partie, plus noire, plus intime. Hugues-le-winner devient Hugues-l'obsédé ; son royaume se dérobe sous ses pieds au fur et à mesure où sa névrose hygiéniste, sa paranoïa et son agoraphobie prennent le dessus. Aviator retrouve alors la vieille croix de Scorsese : la passion devient une descente aux enfers dans laquelle le personnage s'enferme, métaphoriquement (la surdité de Hugues et ses troubles de langage sont largement soulignés) puis littéralement, cloîtré dans sa salle de projection stérilisée. Scorsese pose alors l'enjeu souterrain qui relie le blockbuster-Aviator à Aviator-le film d'auteur : une réflexion ouverte et fascinante sur les métamorphoses du cinéma, de l'âge classique des pionniers utopistes au repli moderne vers la chambre-refuge, du cinémonde au journal filmé. À la fin du film, les images de Hugues ne sont plus projetées sur une toile tendue, mais sur son propre corps tordu par les spasmes et blessé par les crashs, seul écran encore disponible pour accueillir ses fantasmes. Comme une fusion sublime et dérisoire entre toutes ses passions.Aviatorde Martin Scorsese (EU, 2h45) avec Leonardo Di Caprio, Cate Blanchett, Kate Beckinsale...


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