"La réalité est plus cruelle que mon film"

Avec Mon trésor, Keren Yedaya aborde le thème de la prostitution féminine à travers une histoire de transmission mère-fille. Un film entre naturalisme coup-de-poing et auteurisme faussement pudiques dont la cinéaste explique la génèse. Propos recueillis par Christophe Chabert


Les Dessous"C'est le court-métrage que j'ai fait en France. J'en avais tourné deux avant en Israël. Mais si je devais citer un film de moi qui ne me ressemble pas, ce serait Les Dessous. C'est un film bourgeois, un film que j'ai fait pour me faire plaisir. Il y a des connexions, des motifs, comme par exemple le fait de couper les corps dans le cadre, qui se retrouvent dans mes autres films. Mais ceux-ci sont plus radicaux et parlent de sujets plus extrêmes, comme Mon Trésor."Le scénario"J'ai commencé à écrire un scénario sur le même sujet [la prostitution féminine] il y a 10 ans, mais j'étais trop jeune et c'était très mauvais. Quand j'ai repris cette histoire, je n'ai pas attendu de trouver de l'argent, je me suis tout de suite remise au travail, et cela a été très rapide, un an et demi."Mère/Fille"En général, il y a deux grandes raisons qui poussent à se tourner vers la prostitution : un viol ou une mère prostituée. Quand j'ai commencé à écrire, c'est cette seconde raison que j'ai privilégiée, parce que ce sujet m'intéressait par ailleurs. Pour moi, Ruthie et Or sont la même personne à des âges différents. C'est comme un cercle. Cela permet aussi de limiter les explications : les attitudes de la mère sont expliquées par les réactions de la fille."Psychologie"Je n'aime pas trop les explications, j'aime les films où les dialogues sont extrêmement simples : "Viens ici", "Fais ça"... Pas les "Je pense que...", "Je crois que..."... Ce n'est pas un film psychologique, au sens où je n'explique rien au spectateur. Et pourtant, il est très psychologique, parce que je connais vraiment bien le sujet. Tout ce qui est sur l'écran est vrai, et je peux expliquer tout de manière psychologique."Acteurs"J'ai envie que l'on croit que les acteurs ne sont pas des professionnels. Mais ce sont tous des comédiens. Seulement, je ne cherche pas à changer les gens avec qui je travaille, je trouve des comédiens qui ne ressemblent pas à des comédiens, des acteurs qui n'ont pas de charisme, qui ne sont pas sûrs d'eux. J'utilise ces choses vraies que les gens ont en eux. Après, cela dépend aussi de la manière dont je travaille avec eux et de ma façon d'écrire les dialogues. Par exemple, le fait de répéter plusieurs fois la même phrase. Ronit Elkabetz [qui joue Ruthie, la mère] faisait hier le doublage pour la version française, et les autres doubleurs essayaient de varier ces dialogues. On a insisté pour garder ces répétitions. J'aime les dialogues sans logique : on commence une phrase, on ne la finit pas, on en commence une autre. C'est comme ça que l'on parle."Réalisme"La réalité est vraiment plus cruelle que ce qui est montré dans le film. Mon trésor montre un peu ce que c'est d'être prostitué. Si les spectateurs arrivent à comprendre ce "un peu", c'est déjà un grand effort. Il y a beaucoup de discours théoriques sur la question, mais personne ne sait vraiment ce que c'est, personne ne comprend la violence de la prostitution féminine."


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