Maria pleine de grâce

Bête de festivals traitant d'un sujet infiniment peu festif (le destin des "mules" colombiennes), le premier film de Joshua Marston parvient à se détacher élégamment de son lourd sujet par la grâce sybilline de son actrice, Catalina Sandino Moreno. François Cau


Pauvre Maria. Alors qu'elle doit trimer pour sa mère et sa sœur ingrates, son boyfriend pas terrible ne pense qu'à la baiser ou à picoler avec ses potes. Quand elle réalise qu'elle attend un enfant, elle veut légitimement tout plaquer, même si elle ne sait pas précisément dans quel but. Un motard beau gosse lui offre la solution sur un plateau merdique : devenir une "mule" pour un dealer de Bogota, autrement dit transporter de la drogue dans son estomac pour passer la barrière des douanes américaines. Si peu de choses nous sont épargnées quant au sordide de la situation, le film choisit judicieusement de porter son attention sur le personnage de Maria, post-ado qui en a déjà trop vu, prête à n'importe quoi pour changer de vie. Catalina Sandino Moreno, miraculeuse actrice novice, est la vraie raison d'être d'un film guidé par ses intentions documentaires originelles. Force est de reconnaître qu'à partir de ce cas isolé, le réalisateur expose un point de vue suffisamment explicite sur le sujet. Requiem for a mule Après une exposition (déjà tendue) sous le pesant soleil colombien, Joshua Marston enferme son actrice et ses infortunées camarades dans des espaces clos. De l'antre du dealer, qui les traite froidement comme du bétail, à la carlingue étouffante de l'avion, jusqu'à la promiscuité insupportable d'un motel cradingue où l'on attend la "restitution" des capsules de drogue, l'étau psychologique se resserre et l'intolérable finit par se produire. Bien qu'elle n'aborde pas les effets de dépendance, la narration suit le schéma inébranlable de tout "bon" pamphlet anti-drogue (description d'une vie pourrie, affres de la tentation, descente progressive aux enfers, drame irréversible, prise de conscience), mais arrive à amener l'inévitable avec une finesse surprenante. L'acuité d'un regard réaliste, au gré d'un dénuement esthétique qui veille à ne jamais prendre le film en otage, épouse les circonvolutions du parcours chaotique de son héroïne. Fragile chrysalide, beauté déshumanisée, forcée de devenir adulte dans des circonstances dramatiques, le personnage de Maria évite de tomber dans les facilités mélo du martyr à l'injustice criarde (on ne citera pas de noms). Classé d'office dans la catégorie des films "nécessaires", Maria pleine de grâce dessine au sein de sa matrice poisseuse un lumineux portrait de femme. Catalina Sandino Moreno, élément clé indéniable de la réussite du film, brille des promesses d'un avenir qu'on lui souhaite des plus radieux. Maria pleine de grâce de Joshua Marston (Colombie-EU, 1h41) avec Catalina Sandino Moreno, Yenny Paola Vega...


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"La réalité est plus cruelle que mon film"