Innocence - Ghost in the Shell 2

Livrant une fausse suite à son mythique opus, Mamoru Oshii questionne autant les sens que le mental fiévreux d'une humanité déliquescente. Et envoie les frères Wachowski jouer sur l'autoroute de l'information. François Cau


Lors de la sortie d'Avalon, on ne comptait plus les journalistes qui demandaient à Mamoru Oshii s'il n'avait pas l'impression que son opus surfait sur la mouvance Matrix. Pourtant, il y a fort à parier que sans Ghost in the Shell (sorti quatre ans avant Matrix, rappelons-le), la trilogie des Wachowski aurait été toute autre. En bons nerds exégètes, les deux frangins ont repris à leur compte le parti pris narratif développé insidieusement par Oshii dans son œuvre : construire un récit foisonnant sur la base de citations culturelles tous azimuts et s'auto-alimentant en permanence pour provoquer "le sens". Mais tandis que les Wachowski se rendaient esclaves de leurs citations, compensant les aléas ultra-signifiants de leurs scripts fébriles par une fascination puérile pour la destruction de masse (au grand détriment de l'âme de leurs personnages), Mamoru Oshii jetait sur celluloïd les bases de sa propre révolution. Innocence, derrière son incroyable beauté graphique procède une nouvelle fois de cette opacité narrative, d'autant plus troublante qu'on ne peut que plonger à corps perdu dans le vertige sensoriel qu'il nous propose en contrepoint. Lost Highways Autant le dire tout de suite, il est impossible de comprendre l'intégralité d'Innocence dès la première vision, à moins de connaître Isaac Asimov, John Milton, Confucius, Shakespeare, Descartes et la Bible par cœur, de parler hébreu, ou encore de connaître le moindre essai philosophique sur le virtuel. La trame est pourtant presque plus linéaire que dans Ghost in the Shell : en 2032, les humains biologiques sont de plus en plus rares. Deux flics, Batou et Togusa, enquêtent sur des meurtres commis par des gynoïdes, des cyborgs voués au plaisir sexuel qui se mettent subitement à tuer leurs clients. Mamoru Oshii enveloppe ses personnages à la déshumanisation galopante d'une atmosphère de films noirs, avec pour incroyables perspectives visuelles des décors mélangeant 2D et 3D avec une fluidité inédite. Puis... Le spectateur, largué dans une contemplation virant rapidement au vertige, se retrouve aussi perdu que les protagonistes impuissants. Les cerveaux informatiques des deux héros se font "vraisemblablement" hacker, les perdant dans des happenings scénaristiques déroutants, jouant avec une perversion élégante sur la notion de manipulation. Et lorsque le dénouement draine une ultime image d'une efficacité bouleversante, Oshii est parvenu à ses fins. Générer une esthétique tellement puissante qu'elle parvient à délivrer seule une interprétation du film : plus l'être humain crée de fils pour contrôler ses marionnettes, plus il devient esclave de ces fils. La remarque vaut pour les frères Wachowski... Innocence - Ghost in the Shell 2 de Mamoru Oshii (Japon, 1h40) animation


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Putain, un an !