Jeunesse sans Dieu

Reprise de quatre films de Nagisa Oshima tournés dans les années 60, qui explorent le désespoir de la société nippone à travers le désarroi et l'absence de futur de sa jeunesse. CC


Dans la dernière partie de Contes cruels de la jeunesse (1960), un médecin pratiquant des avortements clandestins pour arrondir ses fins de mois, se retrouve face à son ex-copine et lui explique à quel point la révolte qui l'animait et qui le poussait à contester dans la rue le pouvoir en place, s'est muée en désillusion et en désespoir. Dans la pièce d'à côté, une autre fille, sœur de la première, vient de se faire avorter. Brusquement, le médecin se met à parler d'elle : elle a encore une chance, elle croit encore en quelque chose... Mais il ajoute que cet espoir-là ne durera pas et qu'elle aussi devra faire avec les mêmes désillusions. D'une génération à l'autre, la machine à broyer japonaise s'acharne sur sa jeunesse. Oshima, dans cette œuvre-clé, se laisse emporter par cette vision pessimiste jusqu'à l'asphyxie : le début du film, solaire, extrêmement libre cinématographiquement, annonce les meilleurs Godard de l'époque, Pierrot le fou particulièrement. Mais la rencontre entre une jeune adolescente et un mauvais garçon tourne très vite au rapport de force : elle tombe enceinte, lui continue sa vie de rackets minables et de liaisons discrètement tarifées. Tout va très mal se passer, évidemment, et le film suit, avec un peu de monotonie dans sa partie centrale, le cours de ses deux existences prédestinées à la tragédie.Fatalité et ironieDans Contes cruels de la jeunesse comme dans Les Plaisirs de la chair, l'autre film important de ce quatuor, le regard d'Oshima est d'une dureté impitoyable : les hommes sont d'un machisme effarant, les femmes, malgré leur désir d'émancipation, finissent toujours par se plier à cette domination masculine. Cette lourde fatalité, Les Plaisirs de la chair (1967) passe une partie du film à la faire oublier au spectateur : un jeune professeur, désespérément amoureux de sa jeune élève, est invité à son mariage. C'est la première image du film ; la suite, incroyable, montre que pendant ses six ans, il a tué l'homme qui l'avait violée quand elle était enfant, récupéré une valise contenant 30 millions de yen détournés par un fonctionnaire véreux et témoin dudit meurtre, qui trouve ainsi le pigeon idéal pour garder l'argent pendant qu'il ira croupir six ans en prison. Les bourses et la bourse, comme dans Contes cruels de la jeunesse, font alors cause commune. Ayant perdu l'espoir de conquérir sa promise, le petit prof décide de dépenser «en femmes» le magot, et de se suicider juste avant la libération du fonctionnaire. Mais chacune de ses conquêtes sera surtout une étape d'un long chemin de croix, dont l'ironie finale laisse entendre le rire sarcastique d'Oshima que l'on retrouvera, intact, dans son œuvre des années 70 et ses deux grands films des années 80, Furyo et Max mon amour.La Trilogie de la jeunesse & Les Plaisirs de la chairde Nagisa OshimaAu CNP Terreaux


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