De l'autre côté

Après le choc Head-on, Fatih Akin confronte une nouvelle fois ses deux patries (la Turquie et l'Allemagne). Si la retenue semble être de mise, c'est pour mieux nous prendre à revers avec les ressorts dramatiques complexes d'une œuvre bouleversante. François Cau


Hambourg. Le vieil Ali propose à Yeter, une prostituée, d'abandonner son métier pour vivre à ses côtés, moyennant rétribution. Lorsque Yeter vient à mourir, le fils d'Ali, Nejat, part à Istanbul retrouver sa fille Ayten pour lui annoncer la triste nouvelle. Et les chassés-croisés entre les personnages de prendre des tournures dramatiques ou rédemptrices. Difficile de ne pas penser au puissant choc émotionnel que fut Head-on en découvrant le nouveau film de son auteur. D'autant que De l'autre côté, de son propre aveu, est le deuxième volet d'une trilogie qu'Akin consacre à ses racines, un "devoir de mémoire" qu'il souhaite mener à terme avant de passer à autre chose. La mise en scène est plus posée, le montage moins cut, mais l'empathie pour les personnages reste la même - il s'agit d'ailleurs, sans aucun doute, du fil conducteur des deux films. Head-on était à l'image de son tempétueux acteur principal (Birol Ünel) : impulsif et imprévisible. Ici, Fatih Akin suit des personnages tout aussi torturés, ou tout du moins engoncés dans leurs certitudes (dogmatiques, politiques, religieuses, morales), mais voués à fuir leur duplicité avant qu'elle ne les consume.Contre le murOutre son casting remarquable, la principale force du film est son scénario (dont il serait criminel de livrer les clés), fort justement récompensé à Cannes. Il témoigne de la volonté de son auteur de se renouveler, certes, mais surtout d'interroger sa fiction précédente, quitte à lui donner un nouveau degré de lecture. Head-on était une œuvre qui relevait du coup de boule et du crève-cœur à la fois, scandé par deux scènes cruciales qui brutalisaient la narration et le regard du spectateur. Dans De l'autre côté, Fatih Akin désamorce d'entrée de jeu ce "procédé" en annonçant au début de chaque acte le revirement qui le clôturera. Une démarche kamikaze, qui choisit d'incorporer la violence comme un élément inéluctable de son récit, et accentue la noirceur du propos. En contrepoint, la logique narrative est plus maîtrisée, et l'auteur peut s'attarder plus avant sur d'autres mécanismes dramatiques encore plus percutants émotionnellement. Fatih Akin superpose ses intrigues en se jouant finement des codes du film choral (hasards énormes, correspondances signifiantes entre les actions, même action vue de différents points de vue), construit un récit où la question de l'identité trouve systématiquement des réponses inattendues mais lucides, intègres et bouleversantes. Et révèle peu à peu, derrière l'apparente discrétion de sa mise en scène, à quel point De l'autre côté est un film puissant, d'un humanisme salvateur face aux thématiques qu'il aborde. De l'autre côté de Fatih Akin (All-Turquie, 2h02) avec Tuncel Kurtiz, Hanna Schyggula...


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