Du placard à la fenêtre

«L'Homosexualité au cinéma», somme de 700 pages érudite et pertinente, traverse un siècle d'images et de personnages gays. Son auteur, Didier Roth-Bettoni, sera présent pour la première soirée Ecrans Mixtes du Cinéma Opéra. CC


Ce qui, au premier abord, peut rebuter dans l'ouvrage de Didier Roth-Bettoni (un pavé de 700 pages sur une thématique que l'on pourrait croire restrictive), s'avère en fait une grande force. Car l'homosexualité au cinéma, ce n'est pas seulement l'affirmation d'un militantisme à l'œuvre dans des films plaidant la cause des gays ; c'est aussi un formidable miroir de l'époque et de ses images. Ou plutôt des époques, car Roth-Bettoni décompose sa thèse en quatre parties renvoyant chacune à des périodes précises : «Les Années folles», «Les Années du placard», «Les Années militantes» et «Les Années de la visibilité». Ensuite, c'est par une approche géographique qu'il aborde la question, ce qui permet par ailleurs de comprendre le contexte dans lequel ses films émergent.Le Code contre les codesSi l'ouvrage est d'une incroyable érudition (Roth-Bettoni dégotte LA silhouette traversant la moindre bande burlesque du muet), cette énumération vertigineuse se double toujours d'une analyse pertinente. Alors que les premiers temps du cinématographe abordent avec une certaine décontraction la question de l'homosexualité, l'apparition aux États-Unis du fameux Code Hayes entraîne un durcissement moral des productions hollywoodiennes, obligeant les homosexuels à entrer dans le «placard» (The Celluloïd closet, titre d'un livre puis d'un documentaire sur la question, popularisera le terme). Le décryptage des ruses utilisées par les auteurs, réalisateurs et acteurs pour contourner le code est sans doute la partie la plus ludique du livre. Mais les conséquences de cette longue mise au secret se font sentir même après l'abandon du code et l'acceptation des homosexuels ; si des cinéastes n'ont pas peur de s'affirmer ouvertement gay (Fassbinder en Allemagne, Gus Van Sant et Todd Haynes aux États-Unis, Téchiné et Ozon en France...), le cinéma mainstream, américain notamment, persiste dans la caricature et une certaine homophobie. On pourra d'un côté contester certaines affirmations (dire de Gaël Morel qu'il est un «brillant réalisateur» n'engage que l'auteur !), de l'autre louer des tentatives pour réhabiliter des films très attaqués en leur temps (notamment le polémique Cruising de William Friedkin) ; mais c'est bien l'Histoire du cinéma qui défile dans le livre, tant l'homosexualité s'incruste partout (même dans le cinéma populaire le plus médiocre, voir le passage hilarant sur Aldo Maccione !). Au terme du livre, Roth-Bettoni, affirme un humanisme généreux où il ne s'agit pas de louer une vision «positive» de l'homosexualité sur les écrans, mais surtout la nécessaire empathie d'un cinéaste pour ses personnages, indifféremment de leur préférence sexuelle.Didier Roth-Bettoni«L'Homosexualité au Cinéma» (La Musardine)Écrans Mixtes au Cinéma Opéra vendredi 28 septembre


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Philippe Forest