L'Homme sans âge

De Francis Ford Coppola (Fr-Roum-All, 2h20) avec Tim Roth, Bruno Ganz...


Un vieux professeur, foudroyé en pleine rue, est transporté comme grand brûlé à l'hôpital. Quand il retrouve l'usage de la parole, les médecins se rendent compte qu'il a rajeuni d'une trentaine d'années. Ce miracle inexpliqué ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd : nous sommes en Roumanie en 1942, et les Nazis s'interrogent sur les capacités de cet "homme sans âge" qui, autrefois, travaillait sur l'origine du langage. Le problème étant que cet homme-là est atteint d'une forme étrange de schizophrénie, et qu'il ne peut effacer de sa mémoire le souvenir de la femme qu'il a aimée. Passé et présent, éternel retour et cours de l'Histoire, quête philosophique et tragédie amoureuse : pour son grand retour derrière une caméra après dix ans d'absence, Francis Ford Coppola montre qu'il a gardé son ambition intacte.

L'Homme sans âge, adapté d'un roman de Mircea Eliade, est un film-monde où le cinéaste tente un grand pont entre le Rosebud de Citizen Kane et l'os transformé en vaisseau spatial de 2001, entre le romanesque à l'épreuve du siècle et la métaphysique la plus pointue. Car ce qui surprend, en plus de la maestria des images et de la mise en scène (Coppola n'a pas perdu la main, au contraire, peu d'œuvres récentes transpirent autant le plaisir de filmer), c'est sa capacité à pousser toutes ensemble les pistes du récit pour en tirer d'impressionnants moments de pur cinéma. Du sublime monologue des roses dans la première partie (où éclate le génie de Tim Roth dans un de ses meilleurs rôles) jusqu'aux retrouvailles crépusculaires de la fin, en passant par le voyage aux origines du monde, Coppola joue clairement la fulgurance contre la clarté narrative. C'est d'autant plus déroutant que dans un geste plutôt suicidaire, chaque fois qu'un grand sujet se profile, il préfère l'évacuer au profit du parcours intime de son personnage et de son choix cornélien.

Il ne fait guère de doutes que la réception d'un tel objet sera problématique, mais il faut saluer l'intégrité de Coppola, ainsi que la beauté du résultat qui incite à être revu au calme, loin de l'agitation frénétique des sorties hebdomadaires.

Christophe Chabert


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