Suspiria

Reprise d'une des œuvres les plus grandioses de Dario Argento, dans une copie numérique haute définition qui souligne, tardivement, les recherches esthétiques d'un cinéaste longtemps mésestimé. Christophe Chabert


La ressortie dans une copie numérique HD de Suspiria souligne à quel point l'histoire du cinéma est une science loin d'être exacte. Dans les années 70, Dario Argento régalait surtout les cinéphiles bis et les rédacteurs de fanzines naissants (Mad Movies, Starfix). Cette génération maintenant au "pouvoir", une vaste réévaluation de l'œuvre est en cours, emmenée par l'excellent Jean-Baptiste Thoret, auteur d'un bouquin sur le cinéaste, ayant participé aux rééditions DVD de ses films. Le paradoxe étant qu'aujourd'hui, Argento est revenu à la case départ, ses derniers longs-métrages depuis Le Sang des innocents ayant plutôt fait la fortune des bacs à soldes chez Cash Converters ! On pourrait même le déclarer perdu s'il n'avait brillé en réalisant l'excellent Jennifer pour la série Masters of horror, et s'il n'avait sous le coude une prometteuse Terza Madre, qui clôt une trilogie démarrée avec... Suspiria !Rouge sang, bleu effroiLa boucle bouclée, il faut tout de même souligner qu'aucun spectateur n'appréciera en 2007 Suspiria comme certains l'ont adoré à sa sortie en 1977. Car ses effets d'angoisse, son recours au gore et son intrigue de sorcières officiant dans une école de danse suisse ont pris du plomb dans l'aile. Ce qui reste aujourd'hui de Suspiria, c'est sa majesté esthétique, son désir de tout mettre en scène au sens le plus premier du terme : Argento, à la fois peintre, musicien, chorégraphe et scénographe, vise à travers un genre mineur (le film d'horreur) une sorte d'art total. Cela donne à l'écran une explosion baroque de couleurs, lors de plans sublimes où la lumière tire vers une monochromie (rouge et bleu en priorité) ou des séquences découpées et montées comme sur la scène d'un opéra. Grand orchestrateur du macabre (les deux premiers crimes sont époustouflants), Argento travaille chaque détail comme un orfèvre : le paon planté d'aiguilles, le verre de vin-sang, la tronche patibulaire des domestiques où l'image, indélébile, du dortoir de fortune entouré de draps blancs... Si Hitchcock est le maître incontesté du cinéaste (dans Suspiria, la danse tyrolienne prouve qu'il a même hérité de son sens de la dérision vis-à-vis du folklore local), sa postérité est proliférante et difficile à résumer. Christophe Gans dans Le Pacte des loups, Eli Roth dans Hostel ou Ridley Scott dans Hannibal paient tous leur tribut à Dario Argento en général, et à Suspiria en particulier, sans pourtant dépasser le stade de la citation cinéphile. S'il y en a un seul qui a su s'approprier cette manière picturale de filmer l'horreur, c'est Guillermo Del Toro. Ce n'est pas un hasard si, pour le meilleur ou pour le pire, Del Toro et Argento croient encore fermement aux codes du genre, se refusant à l'ironie ambiante et dévastatrice qui règne dans le cinéma d'horreur.Suspiriade Dario Argento (1977, It, 1h34) avec Jessica Harper, Alida Valli...


<< article précédent
Souffle