Cruising

WILLIAM FRIEDKIN


Warner home video"Ce film n'est pas un documentaire sur l'homosexualité mais une œuvre de fiction". C'est le carton introductif de Cruising, rajouté en catimini par des producteurs effrayés face aux protestations des associations gays à la sortie du film. C'est débile, et en plus passablement faux ! Débile car Friedkin revendique rapidement la dimension policière de son intrigue, où un tueur de pédés est pourchassé "de l'intérieur" par un flic (Al Pacino) se fondant dans le milieu des boîtes gay de San Francisco. Faux, car le film est une peinture très réaliste d'une partie de la communauté à l'époque, et pose même subtilement quelques questions aujourd'hui évidentes. Tout est dit dans la deuxième scène, où Friedkin relie dans un même plan l'abus de pouvoir sexuel commis par deux policiers sur des travestis et l'arrivée à l'écran du fameux serial killer. L'homosexualité, encore cachée, taboue, produit frustrations et violences chez ceux qui ne l'assument pas, et répressions aveugles chez ceux qui la condamnent. La modernité passionnante de Cruising est aussi dans son système narratif où rien n'avance vraiment, le cinéaste privilégiant l'évolution des personnages (ou leur descente aux enfers) plutôt que l'élucidation du mystère (il n'y a pas de "whodunit", le tueur est un pauvre type névrotique car renié par son papa). C'est donc un prétexte pour que l'auteur montre le monde comme un abîme de noirceur, où le crime est un virus contagieux et la haine de soi la matière tragique de l'existence.CC


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