La Visite de la fanfare

Les tribulations d'une fanfare égyptienne paumée dans le trou du cul d'Israël : une comédie douce-amère très réussie d'Eran Kolirin. Christophe Chabert


On s'était déjà aperçu avec Les Méduses que le cinéma israélien n'avait pas pour unique ambition de réfléchir aux problèmes de son pays. La Visite de la fanfare le confirme : on sait faire rire et émouvoir par là-bas, sans forcément oublier d'où l'on parle. Eran Kolirin a ainsi choisi de faire se rencontrer les frères ennemis juifs et arabes dans une fable pacifiste et humaniste qui ne vire jamais au gnangnan pontifiant mais garde toujours une salutaire liberté de ton. Soit une fanfare de la police égyptienne invitée à se produire lors de l'inauguration d'un saugrenu Centre culturel arabe en Israël. Ces huit extra-terrestres vêtus d'impeccables uniformes bleus se gourent de route et se retrouvent dans un bled paumé en plein désert. Un autochtone leur résume la situation : «Pas de centre culturel ici, pas d'arabes non plus. En fait, pas de culture du tout !» Le spectateur, au même rythme que les musiciens, va faire connaissance avec les habitants de cette ville sans la moindre histoire : une tenancière de bistrot au grand cœur, des jeunes désœuvrés qui traînent dans des dancings minables, des familles pétrifiées dans leurs préjugés et un garçon un peu chtarbé qui attend désespérément au milieu de la nuit que son ex le rappelle dans une cabine téléphonique.Le grand nulle partKolirin s'amuse à faire de la confrontation entre ces deux mondes désuets et résolument à l'ouest le ressort comique d'une suite de situations qui, c'est la petite limite du film, ressemble plus à un collage de sketchs qu'à une véritable intrigue dramatique. Mais dans ce registre-là, qui possède de glorieux aînés comme Tati ou Kaurismaki, ombre tutélaire mais jamais écrasante de La Visite de la fanfare, le cinéaste impose assez vite un vrai sens du burlesque. Comme dans cette scène réjouissante où le policier égyptien beau gosse mime au puceau israëlien les gestes qu'il doit accomplir pour emballer sa voisine. Un seul plan, long et fixe, suffit à créer une dynamique irrésistible qui pose par ailleurs le réel enjeu du film : faire coexister des personnages que tout oppose et qui, le temps d'une nuit, vont se rapprocher, se toucher et s'aimer. C'est donc dans ce petit bout de terre qui n'intéresse plus personne, même ceux qui y vivent, que les cultures vont se comprendre, à nouveau vierges de leur passé douloureux. D'autres barrières apparaîtront, comme celle qui va se dresser entre l'officier moustachu, rigoriste et fidèle à son épouse décédée (le sensationnel Sasson Gabai) et une femme libre et affranchie (sublime Ronit Elkabetz) qui lui tend des bras auxquels il hésite à s'abandonner. Kolirin le dit alors sans détour : certaines distances humaines sont plus dures à combler que des blessures historiques. C'est le constat doux et amer de cette comédie terriblement attachante.La Visite de la fanfared'Eran Kolirin (Israël, 1h26) avec Sasson Gabai, Ronit Elkabetz...


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