Into the wild

Même s'il dilue la force de ses premiers films dans une mise en scène parfois attendue, Sean Penn confirme qu'il est un cinéaste important avec ce road-movie existentiel sur les traces du cinéma américain des 70's. Christophe Chabert


La légère déception ressentie face à Into the wild est facile à expliquer. Depuis qu'il a décidé de passer derrière la caméra, Sean Penn s'est transformé en poète d'une Amérique éternelle qu'il contemple avec un romantisme noir et élégiaque, empruntant parfois les codes du cinéma de genre pour mieux les renverser au profit de la tragédie de ses personnages. Indian runner, Crossing guard et surtout le fabuleux The Pledge plaçait l'homme au milieu d'une nature qui rendait peu à peu dérisoires ses obsessions, ses peurs et ses passions. Into the wild prend les choses dans l'autre sens, ce qui est beaucoup plus attendu : Christopher MacCandless (Emile Hirsch, fantastique, paie de sa personne pour être à la hauteur du personnage) refuse la vie de petit-bourgeois qui lui tend les bras et décide de partir à l'aventure. Entre clochard céleste à la Kerouac et retour à l'état de nature façon Thoreau, il devient Alexander Supertramp, et arpente l'Amérique avec pour destination finale l'Alaska, choisie à cause de son environnement sauvage et hostile. Sean Penn pose donc de nouveau l'opposition nature/culture, mais c'est à nouveau quand il revient vers l'humain qu'il réussit son pari.

Sur la route

Car les nombreuses cartes postales qui relient les étapes de ce road-movie font figure de dépliant exotique naïf, et les réflexions philosophiques de MacCandless confirment le peu de distance du cinéaste envers cette idéologie sournoise des "vraies valeurs". Là où le film surprend, et s'avère même par moments sublime, c'est quand il oppose à sa figure de héros idéaliste de simples Américains qui tous perçoivent le piège dans lequel il s'enfonce. Un couple de hippies vieillissants, un petit fermier magouilleur (étonnant Vince Vaughn), une jeune fille amoureuse, un sexagénaire endeuillé (le plus beau passage du film, absolument bouleversant) : tous regardent MacCandless comme un garçon emporté par sa fougue («Tu es jeune» lui dit-on, et cela suffit à lui faire sentir son inconscience), fuyant des fantômes en se réfugiant derrière de grandes idées de sagesse. Le style de Sean Penn s'assagit alors (malgré sa longueur, le film ressemble parfois à un assemblage de bandes-annonces) et laisse entrevoir un tout autre projet. Car, plus que le véritable MacCandless, Penn semble chercher ses propres origines de cinéaste dans les spectres du cinéma des années 70 : Monte Hellman, Dennis Hopper, Sam Peckinpah, Michael Cimino, autant d'aïeux revendiqués qui ont eux aussi disparu dans la nature, happés par une sauvagerie nommée système hollywoodien puis recrachés en marginaux échoués que Sean Penn ressuscite le temps d'un film, dont on excuse du coup le lyrisme un peu appuyé.

Into the wild
De Sean Penn (ÉU, 2h27) avec Emile Hirsch, Catherine Keener, Vince Vaughn...


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