Lust, Caution

Revenu de «Brokeback mountain», Ang Lee plonge dans la Chine occupée de 1942 pour une histoire de passion et de trahison, dont l'élégance corsetée craque sous une puissante charge érotique. Christophe Chabert


Un film de sabres pour Occidentaux (Tigre et dragon), un blockbuster expérimental (Hulk), un surprenant western gay (Brokeback mountain), et voilà Ang Lee (et son producteur et scénariste James Schamus) dans une situation de liberté rare à Hollywood. Au point de mettre les voiles et partir tourner, en Chine et en mandarin, une fresque historique dont l'exigence le dispute avec une audace inattendue. Lust, Caution débute en 1942 ; les Japonais occupent le territoire chinois, dans une situation similaire à celle de la France de Vichy. Dans un quartier retranché, la belle Madame Mak dispute une patiente partie de mah-jong avec les autres femmes des dignitaires collabos. Elle s'éclipse pour aller donner le signal à une poignée de résistants décidés à faire périr dans un attentat le ministre Yee. Quatre ans auparavant, cette bande d'étudiants s'était formée pour monter une pièce de théâtre contestataire. Mais c'est un autre rôle qui avait échu à Wong Chia-Chi : séduire Yee en se faisant passer pour une épouse délaissée.Attention, LuxureEspionne séductrice ? Paul Verhoeven, avec le même postulat, avait signé le génial Black Book. Ang Lee, en apparence plus sage, l'utilise dans la première heure pour montrer Wong Chia-Chi en plein travail de composition pour apprendre les codes de l'aristocratie. Le soin maniaque apporté à la reconstitution participe ainsi de ce décorum dans lequel le personnage doit se fondre et se faire oublier. Jusqu'où ira-t-elle (ou plutôt, jusqu'où ira ce classicisme élégant mais corseté) ? Lee, cinéaste au style protéiforme, se prendrait-il lui aussi pour un autre, en l'occurrence Chen Kaige ? À la faveur d'une pétrifiante scène de violence puis de deux ellipses, l'une brève mais décisive, et l'autre beaucoup plus longue, Lust, Caution va d'un coup révéler sa véritable nature. Car quand Wong et Yee se retrouvent, c'est une explosion sexuelle qui se produit, déclenchant une mécanique de désir qui fait sauter tous les carcans. Comme la colère de Hulk ou l'homosexualité des deux cow-boys de Brokeback mountain, quelque chose couvait sous la peau, et les corps se choquent et s'attirent alors contre toute prudence (d'où le titre : Attention, Luxure). Les mensonges inauguraux n'existent plus, les sentiments bousculent la raison (d'État) et le film s'envole vers des pics dont il ne redescendra plus. L'audace des images (des scènes de cul assez crues, il faut le dire) n'est pas grand-chose face à celle du propos : ces résistants qui consacrent cinq ans à viser la même cible sont balayés d'un souffle par la soudaine passion de leur Mata-Hari chinoise. L'Histoire ne s'écrit pas dans les quartiers généraux, mais aussi dans les draps moites de désir sexuel... C'est ce que nous dit Ang Lee, à travers ce film passionnant et courageux.Lust, Cautiond'Ang Lee (ÉU-Chine, 2h38) avec Tony Leung, Tang Wei, Joan Chen...


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