Sweeney Todd

Sommet de virtuosité formelle et de beauté plastique, collaboration parfaite entre un cinéaste et ses acteurs, drame macabre et sanglant d'une noirceur totale, le dernier Tim Burton a tout du grand film. Mais c'est aussi, hélas ! une comédie musicale... Christophe Chabert


Mèche blanche tombant sur des yeux cernés au crayon noir, Sweeney Todd revient en bateau vers Londres, la ville de «toutes les pourritures». Un travelling impressionnant nous fait découvrir les rues grouillantes et les bas-fonds de cette capitale saisie à un moment de son histoire qu'on se garde bien de nous révéler... C'est dans une pension bancale aujourd'hui tenue par une plantureuse faiseuse de tartes écrasant les cafards avec son rouleau à pâtisserie que Todd vécut autrefois le drame qui a bouleversé sa destinée : convoitant sa jeune et jolie femme, le puissant Juge Turpin a condamné un modeste coiffeur nommé Benjamin Barker à la prison à vie.

C'est en mort-vivant aux rasoirs aiguisés et à la soif de vengeance sans limite que Barker, devenu Todd, va orchestrer quinze ans après la mise à mort du juge. Et c'est en virtuose de la mise en scène que Tim Burton va lui donner chair, dans un festival d'images baroques, macabres, drôles, poétiques, en poussant son récit jusqu'à sa logique la plus noire : pas vraiment de gentils ici, puisque tous se livrent à leurs passions les plus sombres et dévastatrices, et finissent par se déchirer au sens strict (gorges tranchées et geysers de sang) comme au figuré : même l'amour ne sauve personne.

Trop de notes...

Le flash-back sur la soirée costumée, le rêve de bonheur illustré comme des tableaux en relief se repliant les uns sur les autres, et les innombrables audaces gothiques de la direction artistique : Sweeney Todd marque un nouveau sommet esthétique dans la carrière de Tim Burton. Il fait même preuve d'une confiance à toute épreuve dans son propre univers, grandement liée à la complicité manifeste qui l'unit à Johnny Depp et Helena Bonham Carter, encore meilleurs que d'habitude chez le cinéaste.

Pourtant, le film trébuche sur ce qui est le cœur de son projet : une comédie musicale tirée d'un classique de Broadway de la fin des 70's signé Stephen Sondheim. Ce n'est pas la première fois que Burton s'aventure vers ce rivage - L'Étrange Noël de Monsieur Jack et Charlie et la chocolaterie contenaient aussi leur lot de numéros musicaux. Mais c'est son respect scrupuleux des codes du genre qui surprend (l'action se fige pendant les passages chantés), et le fait que les partitions ampoulées de Sondheim ne valent pas les tubes pop de Danny Elfman.

Appréciation subjective, probablement... Mais on ne peut s'empêcher de penser que Burton s'est laissé, comme c'était déjà le cas avec Sleepy Hollow, séduire par un matériau sur mesure pour son imaginaire, sans oser lui donner le coup de rasoir définitif qui aurait transformé un brillant exercice de style en œuvre intime et tranchante.


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Didine