L'Esprit de la ruche

Reprise en salles du superbe premier film de Victor Erice, cinéaste espagnol aussi rare qu'essentiel, qui entamait sa carrière par une méditation sur l'enfance et le cinéma. CC


On n'a pas tous les jours l'occasion de parler de Victor Erice, aussi la reprise en salles de L'Esprit de la ruche est un prétexte à ne pas rater. En effet, Erice fait partie de ce club de cinéastes qui ont décidé de battre des records de discrétion sur les écrans, déclenchant sans le vouloir un culte cinéphile autour de leur nom. Car depuis 1973, année de réalisation de cet Esprit de la ruche, Erice n'a tourné que... deux longs-métrages, battant ainsi de peu Terrence Malick. D'ailleurs, il y a plus d'autres points communs entre eux : une même attention à la nature, au passage du temps et des saisons, à l'émerveillement renouvelé devant ses beautés et à la peur face à l'image qu'elle renvoie de la finitude humaine. C'est tout le sens de ce film immense qu'est Le Songe de la lumière, dernier en date d'Erice (1992) et véritable tour de force cinématographique. Le cinéaste y filme, pendant deux heures vingt, un peintre espagnol travaillant sur une toile avec pour modèle... un cognassier. C'est un documentaire, mais c'est aussi la plus forte des fictions puisque peintre et cinéaste semblent tous deux à la recherche d'un arrêt du temps, même si c'est en définitive la mort au travail qu'ils enregistrent de concert.La petite fiancée de FrankensteinLe cinéma, la mort et la nature : c'est aussi la matière de L'Esprit de la ruche, mais cette fois-ci regardée par une enfant découvrant l'ambivalence du monde en toute innocence. Un jour, dans un petit village, on organise dans la salle des fêtes de la mairie une projection du Frankenstein de James Whale. Devant l'écran, une petite fille, Ana, va en être profondément marquée ; elle se persuade que le monstre existe bel et bien, comme un esprit qui circulerait dans l'air. Une menace sourde qui rappelle, opportunément, que le film se déroule sous la dictature du général Franco... Mais cette lecture politique est insuffisante pour rendre compte de la force qui émane de L'Esprit de la ruche : Erice filme avec une infinie délicatesse sa jeune héroïne (Ana Torrent, future star de Cria Cuervos), à travers des plans fixes où l'on ne sait plus si celle-ci joue ou s'ouvre véritablement au monde devant la caméra. Pareil pour le père, qui ne lâche presque jamais ses ruches bourdonnantes d'abeilles, et pour le reste du village, observé avec un réalisme documentaire qui ne vient jamais se heurter à la stylisation extrême voulue par Erice pour magnifier la nature irradiée de soleil qui lui sert de cadre. Seuls la lettre écrite par la mère et un soldat blessé font figure de moteur fictionnel à un récit où l'apprentissage de la vie se fait à travers les vérités cachées dans les images cinématographiques. Des vérités qu'Erice a choisi, à son tour, de rendre rares et précieuses.L'Esprit de la ruchede Victor Erice (1973, Esp, 1h37) avec Ana Torrent, Isabel Tellería...


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