Le temps de la photo

Expos / Belle exposition à la Bibliothèque de la Part-Dieu où quatre photographes du Réverbère présentent des travaux récents. Parmi eux : Julien Guinand ou le temps suspendu, et Arielle Bonzon ou le temps accéléré, urgent. Jean-Emmanuel Denave


Certains s'y emploient avec des tomates, Julien Guinand, lui, réalise des concentrés de temps. Cela s'appelle aussi des photographies, même si la peinture hante ses images. Temps concassé, broyé à la manière de pigments, puis lissé en lumières étales tirant vers le gris et en couleurs mates comme celles du silence. Suspens, stase, apnée. En une dizaine de grands formats, Guinand aimante notre regard sur des choses qui a priori ne nous passionnent guère : un moteur de voiture sur une chaîne de montage, des tireurs à la carabine dans leur stand, un poulain anesthésié couché dans un renfoncement sombre... Mais la densité de ses images anesthésie justement le regard, envoûte, méduse. Du lierre envahit un coin de forêt et ce paysage devient un monochrome vert enveloppant, un espace fantomatique où l'on prend plaisir à se perdre. Même si la mort rôde parmi les feuillages, tout comme elle rôde dans les autres photographies où le temps, en quelque sorte, meurt (temps mort disent les sportifs). Le poulain s'endort. Les tireurs s'évadent dans un lieu mental dont ils détiennent seuls le secret. La mort ou le vide aiguisent ici la vie, la sculptent, la mettent sous tension, la pétrifient et la précisent à la fois. Il y a aussi dans ces images une dramaturgie sourde, celle d'un instant suspendu gros de catastrophes passées ou d'autres à venir : un lieu de crash-test après la collision d'une voiture, des tireurs avant le sifflement des balles, un paysage près de l'étouffement. Julien Guinand tire ses photographies comme un archer sa corde : la flèche du temps va fuser ou s'est déjà écrasée, mais c'est cette tension infiniment dilatée qu'il montre superbement ici. Accrochage rock'n'roll En découvrant l'accrochage d'Arièle Bonzon, on se dit que la photographe a fait n'importe quoi : mélangeant plusieurs séries, rapprochant des formats différents, des sujets hétéroclites, le noir et blanc avec la couleur... Et puis le n'importe quoi opère, ce bordel nous plaît : ça urge, ça rate, ça panique, ça tremble, ça déraille. Un rythme s'installe et il faudrait presque découvrir l'exposition avec du Libertines dans les oreilles. On va très vite, on passe de photographies qui nous indiffèrent à d'autres qui nous retiennent : un rafiot échoué, une silhouette noire contre un énorme rocher. Et puis il y a des poissons très laids dans des eaux très glauques, et des tas de bambins, des images d'émissions télé à côté d'une jolie prairie en fleurs, et des moutons, et des fragments de désert, et une forêt enneigée avec du rouge qui gicle sur le côté... Ou encore un très beau petit triptyque avec à gauche et à droite un morceau de ciel très bleu et un morceau de pré très vert (comme deux mini Rothko), et au milieu une route vue de derrière un pare-brise dégoulinant de pluie. On the road.

La Photographie n'a rien à voir
(Arièle Bonzon, Philippe Pétremant, Jacques Damez, Julien Guinand)
À la Bibliothèque municipale de la Part-Dieu Jusqu'au 12 janvier


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