Jusqu'au bout des seins

Portrait / Mais qui sont-elles ? Ces Djettes aux noms improbables, Connasse et Tatie Charby, qui apparaissent plus souvent qu'à leur tour dans les programmes musicaux, ont été retrouvées dans un bar, un matin, où elles ont tout révélé... Dalya Daoud


Ce sont deux passeuses de disques, autrement dit des selectas comme il en existe beaucoup, qui se distinguent cependant en ne se contentant pas d'avoir pour seul point fort une discothèque obèse comme la chanteuse Beth Ditto. Dj Connasse et Tatie Charby aiment clairement la scène et, quand elles jouent ensemble, ça donne deux hurluberlues qui veillent sur la piste et savent attirer le regard, comme les deux comédiennes qu'elles sont aussi. Anne Geay et Marieke Sergent, de leur véritable identité, se sont levées ce samedi matin, débarrassées de leurs tenues édulcorées, pour raconter ces vies d'agent double. Voire triple. Il est onze heures, les donzelles montrent pendant les premières minutes de la rencontre que ce n'est pas le moment de la journée où elles sont les plus alertes. Mais trois pains au chocolat et quelques clopes plus tard, la mécanique binaire se met en marche. Anne commence les phrases et Marieke les termine. Elles ne se ressemblent pas du tout. De longs cheveux clairs sont peut-être le seul point commun, mais les visages révèlent déjà des différences de caractère tranchées. Et «complémentaires», tiennent-elles à préciser. Un détail indispensable pour passer leurs morceaux choisis l'une après l'autre, dans les règles de l'art.Ping-pongMarieke a le visage nerveux, taillé et impliqué, comme celui d'une Natacha Régnier filmée à vif dans La Vie rêvée, tandis que celui d'Anne est plus doux, affichant au bout d'un nez tout aussi rond que ses yeux un air toujours très détaché. Sur scène, les styles aussi sont différents, et quand les filles jouent ensemble, le duo obtient toujours l'effet escompté. «Évidemment, on en joue», avouent-elles. En voilà des filles rassurantes : elles ont une culture musicale jusque-là qui traverse le rock (pour Marieke) ou le hip-hop (pour Anne), et savent néanmoins revenir aux singles fondateurs de cette fabuleuse et désespérante génération de trentenaires plantés au cœur des années 2000, avec un compteur bloqué aux 80's. Anne aime particulièrement les chanteuses. Et comme par hasard, Cindy Lauper déchire l'air de ce petit bar où l'on reprend un lancinant «time after time». Anne est un clown vêtu de costumes féminins et soignés, et sur Like a prayer de Madonna, elle a imaginé une chorégraphie qui, jure-t-elle, est une pure merveille. «Mais les gens se marrent en la voyant danser. Elle est très drôle parce qu'elle est sincère», précise Marieke. Pour sa part, la mise en scène est plus sobre, mais tout aussi efficace. La demoiselle blonde, qui a pu parfois casser sa bouteille de bière dans un bar pour signifier son désaccord, se retrouve régulièrement en soutien-gorge derrière les platines. Avis aux amateurs : elle compte bien enlever le haut, au profit de modestes étoiles argentées qui, collées à même la peau, pourraient davantage dévoiler sa gorge... La fête, les paillettes, c'est un vrai job.FéminitésMais avant de noyauter les programmations de soirées lyonnaises, les deux jeunes Djettes sont passées par de belles galères. Marieke fait en comptant sur ses doigts la liste des emplois de femme de ménage ou de serveuse par lesquels elle a dû passer avant l'obtention d'un statut d'intermittente. Anne, qui fait partie de différentes petites compagnies de théâtre, a conservé un emploi dans le social, et continue de s'occuper de primo arrivants. Entre musique et comédie, les demoiselles ne choisissent pas mais étendent les perspectives tout en profitant d'une petite notoriété au sein du microcosme musical lyonnais. Elles travaillent en ce moment sur un projet commun qui mêlerait leurs amours artistiques, où l'on trouverait des passages du dernier ouvrage de Virginie Despentes, King Kong théorie, un peu de Marilyn Monroe... Ce serait «un état des lieux de la féminité, aujourd'hui», résument-elles. En attendant, elles font danser ces fameuses filles («parce que les garçons ne font que suivre»), avec de gros tubes clinquants. «Il y a des nuances entre ce qu'on aime personnellement et ce qu'on passe», préviennent-elles. Cependant, il y a des limites à la sélection. Pour Marieke, une gone qui, à neuf ans, descendait de sa Croix-Rousse pour passer ses samedis chez les disquaires, hors de question de passer du David Guetta ou du Mika. Et, jamais, même si on le lui demande, du Sardou... Avant de partir, les filles dévoilent le secret (mal gardé, tout le monde le sait) de leurs improbables noms de scène. Alors, pourquoi ? «Entre copines, on s'appelle tout le temps connasse, c'est mignon», dit Anne sans ciller. Pour Marieke, le pseudo trouve aussi ses origines dans un sobriquet amical. «Mes copains et colocataires m'appelaient Tatie Danielle à cause de mon foutu caractère», dit-elle assez fière de cet état de fait. Et Charby ? «Pour Corinne Charby, parce que je suis comme une boule de flipper», annonce-t-elle, ne sachant pas qu'elle fait vibrer ici la corde sensible. Avec de tels arguments, on s'incline. Et enfin, il faut le noter, les filles ont promis de montrer leurs seins à tous ceux qui viendraient à leur prochain set avec ce numéro du Petit Bulletin en main (vous ne m'en voudrez pas les filles!).Dj Connasse et Tatie CharbyAu Ninkasi Kafé, jeudi 8 novembre 2007 à partir de 20h30


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"Détermination et ouverture d'esprit"