«Le plaisir comme mouvement, continuation, inachèvement»

Propos / Jean-Luc Nancy, philosophe, commissaire de l'exposition Le Plaisir au dessin. Propos recueillis par JED


Généalogie de l'expositionJe n'avais pas de compétence particulière pour le dessin, et je m'étais penché jusqu'à présent plutôt sur la photographie, la peinture, la danse, le cinéma... Quand Sylvie Ramond m'a proposé sa carte blanche, j'ai tout de suite effectué une surimpression entre ce projet d'exposition de dessins et la notion de plaisir qui m'intéresse depuis longtemps. Je connais bien ce thème du plaisir esthétique qui vient de Kant et de toute la philosophie esthétique classique. C'est un motif quasi absent de la pensée contemporaine sur l'art. Il ne s'agit pas pour autant de faire un retour vers le passé, mais de réactiver cette notion dans le présent.Plaisir-désirJ'entends ici le plaisir non pas comme satisfaction ou jouissance («jouissance bourgeoise», dirait Adorno), mais plutôt comme mouvement, continuation, inachèvement. C'est le plaisir du désir bien plus que celui de la satisfaction.Plaisir et dessinJe me suis rendu compte que le dessin est encore considéré aujourd'hui comme intellectuel, s'opposant à la sensualité de la couleur. Les gens disent toujours que le dessin est sec, laborieux. Selon moi au contraire, le dessin est un geste, un mouvement, et dans ce mouvement un désir. La citation de Matisse : «Il faut toujours rechercher le désir de la ligne, le point où elle veut entrer ou mourir», indique le mouvement de toute l'exposition.Forme qui se chercheAvec Sylvie Ramond et Eric Pagliano, on s'est mis à creuser ce thème initial, et toute l'exposition est devenue une exposition de lignes, d'esquisses, d'essais... La sixième Section intitulée «La forme qui se cherche» est un moment clef du parcours. Je pense d'ailleurs qu'il n'y a de vérité artistique que pour autant qu'une forme se cherche. Dans les arts plastiques, le dessin me semble naturellement plus ouvert. Mais ce que le dessin représente par le trait, ce mouvement autonome non déterminé au départ qui crée une forme nouvelle et ouvre un monde nouveau, traverse aussi, je pense, tous les autres domaines artistiques (musique, chant, danse, cinéma...). L'art n'a pas d'histoire entendue comme progrès, il est la relance indéfinie du même désir de la forme. Quand l'homme désire, il trace en dansant, en chantant, en dessinant...


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Lignes haute tension