Initiales BB

Benjamin Biolay, chanteur et musicien, brouille les pistes et brise son image, tout en livrant le meilleur de sa musique avec un album fulgurant, Trash Yéyé. Christophe Chabert


Une vilaine rumeur circule depuis des semaines sur Internet. Une indiscrétion qui gonfle et finit par prendre toute la place. Du genre petit secret dont l'intéressé ne se glorifie pas même s'il a, ces derniers temps, beaucoup paru dans les media. D'ici à ce que cet article paraisse, cette rumeur sera officielle ou aura été démentie par les faits ; autant dès lors la livrer au conditionnel : Benjamin Biolay aurait accepté de faire partie du jury de la Star Academy. En soit, ce n'est pas un événement, et n'influe pas directement sur sa prestation très attendue au Ninkasi Kao - le concert est maintenu, quoi qu'il arrive. Cela ne mériterait même pas d'y prêter attention si, justement, l'ami Benjamin Biolay n'avait sorti le mois dernier son meilleur album, l'impressionnant et (dé)culotté Trash Yéyé. Car on ne peut s'empêcher de voir dans la corrélation entre les éruptions sexuelles et impudiques qui fournissent le moteur des textes et ce choix étrange d'aller siéger en prime time dans un jury d'ouverture aux côtés de Raphaëlle Ricci et Kamel Ouali un même désir de provocation. Non pas casser son image, mais la tordre dans tous les sens, la chiffonner et la jeter à la poubelle, pour qu'elle soit plus belle encore.Gueule d'amour cassée
Tatoué, fumeur et porté sur la picole : tel est le BB des photos, gueule d'amour aux cheveux longs et gras maquillé en bad boy taciturne traînant au drugstore. Trash yéyé, donc. Quand on écoute le disque, on y découvre un tout autre Biolay, qui ne joue plus du lacanisme de son patronyme (Bio-Laid) pour faire parler les foules. Petite ballade d'ouverture rétrospective qui dit que tout est foutu avant même que cela commence (Bien avant), mélancolique lamento sur les nouvelles qui filtrent de l'être parti par voie de presse à scandales (Douloureux dedans), accès de rage rock pour se sortir de la glue dépressive et affronter les choses en face (Regarder la lumière) : voilà le triangle inaugural que le chanteur décline ensuite. Le sexe facile pour oublier l'amour envolé (La Garçonnière, La Chambre d'amis), le temps qui passe transformant la beauté de la jeunesse provocante en masque de désillusions (Dans la Merco Benz, De Beaux souvenirs) et cette colère vitale et nécessaire pour parer les mauvais coups de l'existence (Laisse aboyer les chiens, Qu'est-ce que ça peut faire ?). On mesure le chemin parcouru depuis Rose Kennedy, premier album de celui qui n'était encore que le mec qui a écrit Le Jardin d'Hiver pour pépé Salvador... Un disque dont les bluettes bobos l'avaient rangé quelque part entre variété décente et bas du panier de la nouvelle scène française. Négatif, double album suivant, tenait à peu près les promesses de son titre : début de déprime gainsbourgienne exprimée dans des folk songs épurées et racées renvoyant les arrangements précieux du disque précédent dans ses cordes. Mais c'est avec À l'origine que Biolay a vraiment commencé à nous faire lever le sourcil : blues-rock qui tâche comme du Johnny, morceaux pas propres sur eux et même parfois salopés en beauté quand BB les chantait sciemment comme un cochon. Un type qui décide de ravager sa musique comme d'autres saccagent leur chambre d'hôtel mérite mieux que de la condescendance. Aujourd'hui, Trash yéyé mesure ses excès : textes rentre-dedans mais production ambitieuse et léchée, voix cassée mais appliquée, portrait égocentrique mais toujours au bord de l'autodafé.Double je(u)
Derrière le parcours logique d'une discographie en constante progression qualitative, il y en a un autre, tout en zigzags hasardeux et rencontres improbables. De sa jeunesse ici (de Villefranche au Conservatoire de Lyon), il garde une amitié indéfectible pour Hubert Mounier, ex-chanteur de l'Affaire Louis Trio, et un vrai sens de la famille, comme en témoigne l'album anodin écrit pour sa sœur Coralie Clément. Du show-business, il en tâtera quand il se mettra au service d'Élodie Frégé, gagnante de la Star Ac' 3 en quête de crédo et de crédibilité pour son troisième album, une bouse sans nom. De la romance pour paparazzi, il en fournira à la louche quand il officialisera par voie de disque (Home, pas mal du tout au demeurant) sa liaison avec Chiara Mastroianni. De la politique, il en fera le temps d'une campagne, celle des régionales où il ira chanter dans un meeting lyonnais du PS, alors en miraculeux retour de flamme. Mais chaque chose a son revers : après l'échec d'À l'origine, on le dira (à tort) meilleur producteur que chanteur ; niveau militantisme, d'autres plus réactifs et malins (mais moins doués), Benabar et Cali en tête, lui grilleront la politesse ; côté cœur, la séparation d'avec Chiara excite la meute des torchons people, et alimente aujourd'hui les textes de Trash Yéyé sur le mode «Allez vous faire foutre !» ; pour ce qui est des paillettes, le fait de se frotter à une academycienne lui vaut aujourd'hui sa place chez les immortels de la télé, à gauche du patron d'en face, Pascal Nègre. Scission grave entre le Benjamin médiatisé et le Biolay des disques et de la scène, entre le BB privé et le BB public ? La réponse est au début de l'album : «Bien avant qu'on se soit brisé, bien avant qu'on soit des vendus, bien avant que je t'ai reniée, je savais déjà qu'on était vaincu».


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